Interview du groupe La Femme
Voilà plus de six ans que la rédaction d’adscite suit de très près le groupe La Femme qui bondit de scène en scène, comme un ressort. Après Psycho Tropical Berlin, le groupe présente Mystère son second album.
C’est durant l’été 2011 que la rédaction d’adscite croise pour la première fois les membres de La Femme, au hasard d’une loge qu’ils partagent avec Douchka. Le groupe joue pour ce dernier week-end de juillet au festival Astropolis, sur le toit de la Carène transformé pour l’occasion en plage urbaine. La Femme s’affirme déjà, cheveux décolorés, teeshirts logotypés et absinthe consommée.
Ensuite l’équipe d’adscite retrouve Marlon, Sacha, Sam, Noé et Clémence en septembre de la même année, pour leur première date au Royaume-Uni, lors du Jersey Live. Cette fois-ci, La Femme nous propose une représentation intime et céleste, sous une grande tente peu éclairée, au look chill oriental, tapis au sol devant un public assis sur coussins et ottomans. Le groupe nous confie être à la recherche d’un label pour se développer.
Cinq années plus tard sort le second album, Mystère, applaudi avec éclat. Victoire personnelle et publique, hourra La Femme !
Avant la sortie du second album, en septembre 2016, le magazine Rock&Folk titrait en couverture « l’année de La Femme ». Depuis mars 2016, avec un Olympia notamment, vous êtes bien chargés. En avril vous terminiez le mixage et poursuivez avec une belle tournée au Canada, aux États-Unis, au Mexique. Puis plus au sud, vous descendez au Pérou, au Chili et en Argentine. Des dates européennes s’alignent à Londres, Berlin, Turin, Barcelone, Zurich, Bruxelles, Madrid, Lausanne, Bologne, etc. Et un gros tour de France. Après cette Année de La Femme, quel est le bilan ?
Sasha Got : Je ne sais pas encore, il faudra bien faire un bilan mais je ne sais pas quand. Dans un mois j’aurai peut-être envie de me poser à la campagne avec un agenda, pour regarder date par date et me remémorer mon année pour à la fin en déduire quelque chose. Pour le moment, c’est juste une année en plus.
Comme la continuité de quelque chose ?
Sasha Got : Non pas à ce point, on ne peut pas parler de continuité. Nous avons connu plusieurs évolutions, surtout au niveau des moyens. Maintenant, pour nos concerts nous pouvons faire venir des violonistes, et d’autres extras que nous ne pouvions pas nous permettre avant. Et on développe beaucoup la partie image par les clips. Encore une fois, c’est une évolution des moyens qui change tout, un clip comme Sphynx, à gros budget, n’aurait jamais été imaginable avant.
Vous nous aviez confié avoir « des kilomètres de films prêts ». C’est imaginable un film, même expérimental/musical, La Femme ?
Sasha Got : Nous en avons parlé, peut-être trop souvent. On s’est collé à nous-mêmes une sorte de mauvaise pression. Nous ne voulons pas nous sentir obligés de le faire par ce que nous l’avons trop dit. En y réfléchissant, réaliser un film avec sa musique c’est une idée que plein de gens ont, il faut donc vraiment savoir amener le projet. Mais oui, ce serait cool ! Cela nous ferait faire d’autres trucs. Avec le temps, les passages en studio et les mois en tournée que nous connaissons, faire un film nous amènerait vers d’autres délires, d’autres disciplines. C’est important de varier les connaissances.
Au début de La Femme vous faisiez tout, maintenant le groupe est bien encadré, n’avez-vous pas perdu en liberté ?
Marlon Magnée : Nous faisions tout, même les booking, parfois à l’arrache. Il nous est arrivé de rater une date en Espagne car nous avions réservé les billets pour le lendemain, ou d’arriver sur certaines dates en ayant oublié de demander une batterie, ou alors les plans trains de dernières minutes et autres covoiturages. C’était l’aventure. Mais on s’est aperçu assez vite que cette liberté n’en était pas vraiment une.
Sasha Got : Ça nous privait des autres types de libertés. Par exemple, gérer les dates nous faisait simplement passer à côté de moments artistiques. Même si la liberté peut avoir différentes définitions, ou différents degrés, pour nous la « gérance » n’en était finalement pas une. Au final, c’est sans fin, on est de plus en plus libre, pour l’être de moins en moins. On peut même comparer ça à la vie, quand tu avances, que tu as une femme, une situation professionnelle, une maison, des enfants et un arbre, tu penses être libre mais tu ne l’es pas réellement. Notre liberté serait de ne rien posséder au fond.
Sam Lefèvre : La liberté est de ne rien avoir. Si tu n’as rien, tu ne regrettes rien, tu t’en fous.
Sasha Got : Ça me fait penser à un pote qui est parti faire le tour du monde. Au début, il était en voiture, puis sa voiture est tombée en panne, il s’est dit qu’il allait continuer en vélo, avant de se le faire voler, et maintenant il est à pied, il tire sa charrette avec ses quelques affaires et il s’en fout, il se fait plaisir et est libre.
Les textes de La Femme sont variés, il y a de la chronique, de la chanson naïve et légère, des élans nostalgiques, etc. Comment faites-vous pour tout mêler ou démêler ?
Sasha Got : Nous n’avons pas de véritables règles, nous avançons à coup de maquettes, sans avoir de lieu précis pour travailler. Nous écrivons en tournée ou chez nous, par-ci par-là. Nous faisons des sortes de recueils de textes. Puis, à un moment nous posons tout, nous décidons de clore la tournée pour finir les maquettes. Nous commençons toujours plein de morceaux, à un moment il faut s’arrêter, les sélectionner et les boucler. Nous n’avons jamais procédé sur la commande en disant « allez hop, on entre dans cette pièce et on enregistre ». Pour l’aspect vraiment technique d’écriture, la majorité des textes sont les miens et ceux de Marlon. Nous avons par moment des histoires complètes à livrer et d’autres fois des mots et bouts de phrases qui arrivent seuls.
Il n’y a pas de ligne artistique ?
Sasha Got : Nous avons essayé mais finalement nous n’y arrivons pas. Quand tu écoutes La Femme ça part dans un tas de styles, bien que bizarrement une certaine cohérence existe. Elle se fait comme ça, je pense. Après, si on analyse en prenant des échantillons précis comme Psyzook, aux influences zouk, et Le vide est ton nouveau prénom, en mode médiéval, on voit plusieurs similitudes, comme une même suite d’accords, et tu retrouves des analogies dans plusieurs morceaux. Comme une patte.
Sur l’EP Le Podium en 2011, la cover était basée sur L’Origine du Monde de Gustave Courbet, pour l’album Mystère c’est Tanino Liberatore qui s’y colle. Toujours vagin ?
Sasha Got : C’est l’idée du vagin qui est redondante dans notre travail (avec un accent italien, ndlr).
Quelles sont les influences culturelles pour La Femme ?
Marlon Magnée : C’est compliqué, on est tenté de dire diverses et variées.
Sasha Got : Moi, récemment l’œuvre Une nuit à Saint-Cloud d’Edvard Munch m’a touchée. Ça faisait longtemps que je n’étais pas allé au musée et j’ai trop tripé. J’ai vu plein de toiles que tu vois le plus souvent dans les salles d’attente des docteurs (rires). Quand tu les vois en vrai ça fait plaisir, tu fais genre « Ah ! » (soulagé, ndlr). Sinon, nous avons des goûts variés, on part un peu dans tous les sens mais nous sommes aussi tous assez ouverts pour se retrouver. Humainement, on se retrouve surtout autour de blagues et de « dîners de bouffe ». Ouais, autour de la bouffe !
Et l’absinthe, toujours le kif ?
Sasha Got : Oui ! Alors, il y a bien sûr tout le mythe autour de l’absinthe, mais on peut reconnaître que c’est juste bon. Nous on aime tous les trucs anisés et herbacés, comme le Ricard aussi.
Sinon, le projet du Fat Festival à Biarritz, on en parle ?
Sasha Got : Le « Contre Big » pour contrer le Big Festival. Tu es au courant de ça ? Le fameux projet du Fat ?
Au final, ça s’est fait sous un autre nom et avec la Rat’s Cup, une compétition de surf à Biarritz. Nous nous sommes greffés au truc pour gérer la programmation. Nous étions super chauds dès le début et nous avons déjà fait trois éditions. Donc ça ne s’appelle pas le Fat, mais bon… Après, on pourra toujours discuter du nom à l’avenir et mettre un gros sur l’affiche, avec les noms de groupes (rires).
La première fois qu’adscite a rencontré le groupe, on leur a demandé: « Pourquoi avoir changer le nom Luna et Les Garçons pour devenir La Femme ? ». Marlon Magnée avait répondu « Car la femme est un mystère ! » Décidément, ce groupe cultive le mystérieux et c’est là sa ligne directrice depuis ses débuts.
La boucle est bouclée.
Remerciements : Born Bad Records | Universal Music France
Photo de couverture © Laurent Chouard
Alexandre Fisselier