Studio Bill Amberg, Londres
Les portes de Bill Amberg, designer de renommée mondiale ayant fait du cuir sa spécialité, se sont ouvertes à la rédaction. Depuis 1985, son studio étudie et façonne la matière pour en dégager le luxe. Découverte.
Les aiguilles affichent le midi parisien, tandis qu’ici, à Londres, la matinée entame sa dernière heure. Le ciel éblouit tout de son gris étincelant, à chaque regard trop haut mes yeux semblent défier le soleil à travers une feuille de papier calque. La saccade du taxi, entre les coups d’accélérateurs et les coups de freins symptomatiques d’une ville aux huit millions d’habitants, s’apparente à une danse. Le chauffeur, Marocain, grommelle en franglais contre ces deux roues et piétons mal avisés de vouloir passer devant ses phares. Brusquement, la voie se libère, la voiture s’engouffre dans une longue rue au style géorgien, bordée par deux rangées de maisons en briques attenantes et similaires, les terraced houses. Dans l’élan nous doublons, non subtilement et illégalement, trois bus à impériale alignés, le cab noir paraît bien petit, j’ai alors l’impression de faire du saut de hais.
Arrivé à Lonsdale Road
Je repère l’immeuble de Bill Amberg à son Ford Transit siglé stationné en vrac. La rue est charmante, les bâtiments ne dépassent jamais le deuxième étage et bien que dominés par l’ocre ils font, entre eux, un peu patchwork. Plusieurs cabinets d’architectes, quelques cafés, restaurants, et juste en face du studio, comme pour adoucir la réalité, cinq dents rondouillettes et mignonnettes accrochées au mur indiquent la localisation du dentiste.
Les affaires de transport étant réglées, je pousse la porte bleue, derrière elle, un escalier invite à entrer. Le mur de droite, tout en briques, se pare d’une belle barre en bois et cuir. Aucun doute, je suis bien au 2 de Lonsdale Road. Les mains-courantes sont chères à Bill Amberg, elles représentent souvent le premier contact tactile qu’un visiteur ressent, aussitôt la texture du cuir chaud contre la paume marque durablement l’esprit. Le palier atteint, me voilà dans une grande pièce aux murs blancs et briques, de jeunes femmes blondes s’activent sur des machines gris Payne, ça coupe, coud, se concentre et plaisante. L’ambiance est chaleureuse. Je n’ai pas le temps de terminer mon inspection des différents ciseaux, rouleaux, pinceaux, rangés méticuleusement, ou des quelques tirages accrochés au mur, qu’un grand bonhomme aux lunettes écaille de tortue et à l’épaisse veste en laine grise s’avance souriant vers moi. « Hi, I’m Bill ! » Il est nice too meet me, et moi aussi. L’œil accrocheur, il captive par l’équilibre entre sérieux et mutin qui se dégage de son visage.
Bill me présente le studio comme un anti bureau, où designers, artisans aux spécialisations diverses et apprentis œuvrent tous à concevoir le meilleur. Ici, les compétences et les idées se mêlent constamment et les projets sont réalisés pleinement, de la pensée à l’ultime finition. La vingtaine d’employés est, à l’image du patron, épris de cuir et recherche perpétuellement de nouvelles innovations ou des techniques oubliées pour bonifier la matière. Sublimer et dépasser les vertus premières du cuir, faire de ce matériau basique un luxe manifeste, voilà l’essence même de la volonté de Bill Amberg et son équipe.
La ballade curieuse se ponctue d’arrêts aux différents ateliers. À gauche une selle magnifique, sur-mesure, se fait brosser, derrière quelques sacs patientent avant les dernières finitions. À droite, une jeune femme se mord la langue afin de réussir ses coutures au fil rouge. D’espiègles fossettes creusent ses joues.
Bill Amberg ouvre un tiroir et en sort une camera case pour la célèbre marque Leica.
Des partenariats l’homme n’en manque pas. M’entraînant dans son bureau, il me montre son vélo aficionados de cyclisme qu’il est et différents projets que le studio a érigé. Tel un enfant fier de ses jouets, il communique sa bonne humeur et sa passion. Fier, oui, Bill peut l’être ! Dès 1986, un an après le lancement de sa marque, il dirige une collection de sacs pour Paul Smith et en 1992 c’est pour Donna Karan (DKNY) qu’il réitère l’exercice. En 2011, bagagerie toujours, il dessine et réalise un set de cinq pièces pour l’Aston Martin Cygnet. Le studio reçoit à partir des années 2000 des commandes pour de plus gros chantiers. Le grand magasin Selfridges à Londres le mandate pour la réalisation d’un sol en cuir de 280 mètres carrés pour son espace chaussure homme – la semelle caresse le sol, se reflète. Un projet ambitieux devant souligner la bonification de la matière avec le temps, où les marques et les rides l’embellissent. Bill, ajoute qu’au charme apporté, un sol en cuir isole très bien, s’use lentement et plaisamment, et surtout ne retient pas la poussière. Malin. En 2009, c’est le célèbre architecte italien Renzo Piano qui sollicite Bill pour la conception d’une masterpiece, le comptoir de réception de la tour néo futuriste The Shard à Londres, dix-sept mètres de cuir cousu main sur place (Le gratte-ciel de 309,60 mètres de haut se compose de fastueux logements, de nombreux bureaux, d’un Palace Shangri-La et de plusieurs restaurants, dont le Hutong).
Le designer se penche aussi régulièrement sur des projets intimistes, luxueux mais restant accessibles. Il me présente un bel étui en cuir beige créé pour le whisky Yamazaki 18 ans, il s’est inspiré des futs brulés pour lui donner son aspect, le packaging épouse harmonieusement l’esprit de la Maison Suntory. Bill a aussi conçu le coffret pour le Yamazaki 25 ans, un ouvrage en chêne, cuir tanné à la main et cuivre, plus intimiste, plus luxueux mais ici peu accessible (2.300€). En 2008, il participe à la réédition de six grands romans avec les Éditions Penguin Classic, alors Scott Fitzgerald, Oscar Wilde ou encore Truman Capote adoptent une nouvelle peau bien tannée. De toutes ses réalisations, le studio hérite de nombreuses compétences et techniques variées, fruits de recherches et de collaborations avec d’autres artisans passionnés par le papier, le verre ou le bois.
Un tas de projet. Fier ? Définitivement oui, Bill peut l’être. Une fois ressorti du bureau, de retour dans l’espace ouvert, où chacun œuvre avec minutie, je lui demande si pour une belle pièce, malgré tout le talent possible, le choix de la peau ne reste pas primordial ? « Le cuir est une matière polyvalente géniale, quand elle est bien sélectionnée et travaillée elle s’adapte à tous les projets. Notre Studio a mené des exploitations variées qui requièrent toutes un traitement spécifique, tant pour l’esthétisme que pour la qualité. Les différents besoins de nos collaborations, pour un sac ou un revêtement mural, nous poussent à extraire l’essence intrinsèque du cuir, et à la moduler, afin de répondre parfaitement aux attentes. Et bien sur, il faut trouver la parfaite tannerie qui sait mettre en évidence ses propriétés naturelles. » Afin de compléter sa réponse déjà bien fourni, Bill avance flegmatiquement dans la pièce et se dirige vers un nouvel escalier. Il commence à grimper les marches en racontant ses années passées en Australie où il apprend le travail du cuir. Je perds vite le fil en arrivant dans un grenier sombre, tout mansardé, aux poutres brutes multiples.
Voilà les archives particulières, un tas de peausseries roulées et empilées les unes sur les autres. Bill me fait l’étalage de sa collection, des bovins, ovins et caprins pour le classicisme, des autruches, crocodiles et serpents pour l’exotisme, des anguilles, saumons et grenouilles pour l’insolite. De Noé il ne reste que les enveloppes tannées. Chacune pouvant être exploitée diversement selon sa résistance, son aspect, son touché ou sa taille. Un sublime recueil aux nombreuses teintes, du rouge carmin, du bleu canard, du brun acajou, du lilas bleu. Plein les yeux. « Là, c’est du requin. » Bill tient entre ses mains une silhouette noire qui s’apparente au rodeur marin, le touché est singulier, robuste et rêche. Il tend ensuite une peau d’autruche, souple et soyeuse, identifiable aux reliefs – son grain – des plumes passées. À chaque animal sa qualité. Les parties contrastent aussi, un « cuir » de joue n’est pas un dos ou un ventre, les caractéristiques sont disparates et promettent des usages diversiformes. Le temps passe, voilà deux heures que je suis au studio, il faut songer à partir, nous redescendons dans l’atelier principal avec Bill, certains employés sont déjà en pause déjeuner, d’autres s’affairent toujours. Encore quelques minutes de bavardage puis les poignées de mains se ferment, la visite touche à sa fin.
Au Studio Bill Amberg, le respect de la matière est capital, designers et artisans, tous accomplissent avec une profonde délicatesse un art brut. Le cuir devient unique entre ces murs londoniens, son potentiel explose, il révèle son caractère absolu, de l’élémentaire peau le luxe surgit. Les concepts novateurs du studio sont maintenant une véritable griffe. La signature Bill Amberg.
Plus d’informations : http://www.billamberg.com
Alexandre Fisselier