The Sleeping Beauties par Vincent Darré
À l’occasion de sa création tant féérique qu’éphémère pour le sublime showroom parisien de Luxury Living, la rédaction de adscite est allé à la rencontre d’un dadaïste extravagant, d’un fabuliste surréaliste, le décorateur Vincent Darré.
Cet ancien de bras droit de Karl Lagerfeld, qui a tourné les talons à la mode, et non au style, pour se sentir plus libre, trouve ici, au showroom, un luxueux espace d’expression. Entrez donc dans la maison Luxury Living qui édite, entre autres, l’élégant mobilier Fendi, à l’image du récent canapé « Six Shades of Palmer », du designer Toan Nguyen, ou encore la table « Eraclito », très années folles, présentée par Heritage Collection.
Quelle est la genèse du projet « The Sleeping Beauties » réalisé par vos soins pour le showroom parisien de Luxury Living ?
« The Sleeping Beauties » existe grâce à Alix de Chabot, une ambassadrice incroyable. Elle fait partie de ces gens qui lient les personnes entre elles, qui savent quand une marque doit sortir de ses rues habituelles. Alix m’a donc demandé si je souhaitais collaborer avec Luxury Living, dont je connaissais Monsieur Vignatelli (patron de Luxury Living Group, ndlr) depuis l’époque où je travaillais la mode comme bras droit de Karl Lagerfeld, pendant six années chez Fendi.
Pour la marque, je m’occupais de toutes les licences, donc je connaissais évidemment Monsieur Vignatelli car nous travaillions, avec Anna Fendi, sur les créations Fendi Casa. Ainsi, quand Alix m’a parlé du projet, le clin d’œil m’a amusé.
J’ai également adoré le fait que l’on me dise dès le début que j’avais carte blanche. Je n’accepte ce genre de projet que lorsque l’on me laisse libre. Autrement, il est très difficile de faire un exercice de style. Cela aurait été différent si l’on m’avait demandé une décoration pour un showroom permanent, mais là, pour une scénographie éphémère, il fallait que ça soit fort.
La patte Vincent Darré est très marquée, très onirique, surréaliste, forte de couleurs. Et Luxury Living ne se restreint pas uniquement à Fendi Casa, mais d’autres marques sont présentes au showroom comme Trussardi Home, Ritz Paris Home Collection ou encore, la très Art Déco, Heritage, pour ne citer que celles-ci. Comment faire pour mêler tous ces univers ?
Le travail d’un décorateur est de mélanger. Quand on fait des restaurants, des maisons ou des hôtels, on se retrouve toujours à devoir associer des choses déjà existantes, à prendre du mobilier à droite et à gauche. Ici, pour Luxury Living, ce qui est extraordinaire, c’est que l’on m’a ouvert tout le showroom, mais que l’on m’a également gratifié de livres entiers d’archives. Je pouvais changer les tissus, m’amuser, tout en restant dans les codes et les couleurs qui font l’histoire de la maison.
À partir de tous ces éléments et de la liberté totale qui m’était accordée, j’ai pu m’amuser à imaginer tout un conte de fée. Inspiré par les grands classiques comme La Belle et la Bête et La Belle au bois dormant, j’ai donc naturellement appelé mon conte « The Sleeping Beauties ». Cette histoire enchantée, je voulais qu’elle vive par deux univers, l’un très féminin et l’autre très masculin, avec un lion majestueux qui représente la Bête, et des fourrures pour rappeler Fendi.
Ce qui est plaisant chez Luxury Living c’est que le groupe travaille avec plusieurs marques, toutes fortes d’une griffe particulière, et pourtant on retrouve la signature de Luxury Living partout. C’était formidable pour moi d’aller y piocher des pièces dans mon goût. Lorsque je me suis dirigé vers des tons verts, je me suis aperçu que le groupe en avait utilisé quelques-uns, donc j’ai marié ce qui existait déjà avec d’autres pièces que j’ai customisées.
Votre travail, est celui d’un « faiseur de beauté », vous empêchez les objets utilitaires, usuels quotidiens, d’être fades. Est-ce un bon résumé ?
J’aime la beauté, tant dans les gens, que dans la décoration, et tout ce qui m’entoure. C’est drôle ce terme de « faiseur de beauté », je n’avais jamais pensé à ça. D’une manière générale, je suis très heurté par les gens qui s’habillent mal ou qui ont un laisser-aller dans leur intérieur, ça me choque. Pour moi, c’est un signe de dépression. J’aime fantasmer, c’est pour cela que j’évolue dans ce milieu. Avant, je travaillais dans la mode, mais j’ai fait le choix de m’orienter vers la décoration pour me permettre de rêver davantage, d’avoir un regard naïf, de faire des choses que les autres n’osent pas faire. C’est pour ces raisons que mon univers est très particulier, très personnel. Grâce à ma liberté. Après, la signature Vincent Darré laisse facilement transparaitre mon passé dans la mode, à chaque création on remarque une sorte d’exercice de style.
La signature Vincent Darré c’est également de l’onirisme et du surréalisme ?
Oui, avec de nombreuses références à Jean Cocteau. Mais l’inspiration vient aussi d’un certain état, d’un certain instant. En ce moment, je suis sur mon projet, Rue Royale, où j’ai ouvert une maison qui est très inspirée par la renaissance et autres références baroques. Donc à présent, même si le surréalisme restera toujours vivace chez moi, je suis plus sur du baroque.
Influences que l’on retrouve ici, dans votre scénographie pour Luxury Living.
Exactement. Ici, j’ai continué dans le même esprit baroque surréaliste, j’ai voulu faire comme un palais. En plus, comme Monsieur Vignatelli a un magnifique palais et est italien, je trouvais ça d’autant plus pertinent d’ajouter des notes baroques.
Palais où la pièce centrale est le lit…
Oui… (Rires) On rentre directement dans la chambre. Chose peu commune, mais après tout, n’est-ce pas l’histoire de notre belle endormie ?
Le lit est l’espace central, on y rentre, et d’un coté, il y a la salle à manger, qui est vraiment très inspirée par le film La Belle et la Bête de Jean Cocteau, et de l’autre côté il y a le jardin secret de la Bête, avec la cage où le mauvais sort est emprisonné. Je souhaitais que l’on retrouve une grande part des symboles de ce conte de fée mythique.
« The Sleeping Beauties » est une décoration éphémère. Quand une chose comme celle-ci se termine, disparaît, n’avez-vous pas une sorte de pincement au cœur ?
J’ai eu la chance de travailler avec Karl Lagerfeld, grâce à lui je n’ai plus aucun mal à dire adieu aux choses. L’année dernière, j’ai vendu toutes mes affaires chez Piasa et j’ai compris ce que Karl ressentait, lui qui faisait souvent cela, vendre ses biens. Je me souviens, un jour, je lui ai demandé : « Comment fais-tu pour te débarrasser de tes objets personnels, de choses que tu as aimées ? » Il m’a tout simplement répondu : « le passé, ça ne compte pas. » Après ma vente, j’ai compris le bien que cela faisait, et surtout, qu’il ne faut pas être attaché aux objets.
Là, pour Living Luxury, c’est un décor éphémère et c’est très agréable comme sensation. Cela me fait en partie réaliser mon rêve d’enfant, lorsque je voulais créer des costumes et décors pour le cinéma et le théâtre. Donc pour moi, c’est un chemin presque évident que de faire des scènes amenées à disparaître. Le côté éphémère est même très agréable pour la créativité, car un décor qui reste, qui perdure dans le temps, ne m’autorise pas ce genre de folie. Un décor éphémère est la porte ouverte au rêve et au délire.
Quelques personnes s’en souviendront, auront des photos, mais personne ne reviendra sur place dans dix ans en se disant « Oh lala, qu’est-ce que c’est que ce truc ? » (Rires) Là, au moins, ma scénographie est faite pour disparaître. Elle va faire rêver les gens pendant un mois avant de s’en aller… De plus, nous sommes tous faits pour disparaître un jour, bien que là ce soit plus bref. Je trouve cela très séduisant, c’est un autre exercice que faire de la décoration. D’abord je rêve, puis quand ça disparaît, je suis bien content.
N’est-ce pas paradoxal ? Un conte de fée dure dans le temps, traverse les siècles…
Pour moi, le conte de fée se rapproche plus de l’enfance, du souvenir. Un souvenir, nous en gardons quelques bribes, mais ce ne sont que des apparitions, comme un conte, c’est la mémoire qui fait traverser les années.
Showroom Luxury Living
18 Avenue George V, 75008 Paris
10h-19h en semaine
11h-18h le samedi
Jusqu’à début octobre
Crédit photo de couverture © D.Atlan
Alexandre Fisselier