Atypyk, conceptualiser la futilité
Au salon Maison&Objet, la rédaction d’adscite est allée à la rencontre de Ivan Duval, la moitié du duo Atypyk formé en 1998 avec Jean-Sébastien Ides. Depuis près de vingt ans, leur studio peut se vanter d’aligner les best-sellers, à l’aide de créations impertinentes, parfois très gadgets, et toujours réfléchies.
Retour sur deux décennies de succès commerciaux basés sur la conceptualisation du futile.
Commençons par le début, comment le studio Atypyk s’est-il lancé ?
En imaginant des tâches adhésives pour transformer un frigo en vache. Et étonnement, en 1998, cela a cartonné. C’était juste après la crise de la vache folle, dans une France où toutes les cuisines avaient le même type de réfrigérateur blanc. Dans une France qui découvrait également les 35h et les loisirs créatifs. Le mélange idéal. De plus, en 1998, les stickers à la découpe n’existait presque pas, voir pas. Les seuls stickers qui existaient étaient des tâches de peinture pour camoufler un petit accident sur une voiture. Après un tel constat, nous avons vite lancé la production en achetant du plastique noir que nous faisions découper en forme de tâche, ce qui nous a permis d’éditer des milliers de fois le même objet et profiter de la vague des loisirs créatifs en permettant à chacun de faire sa propre interprétation de la tâche. Nous avions soigné le graphisme du produit, à l’opposé d’un objet gadget et vulgaire, pour que chacun puisse la déposer sur son frigo, et ainsi désacraliser cet objet trônant dans toutes les cuisines. Et la vache trouve aussi sa place dans une cuisine, sur un réfrigérateur dans lequel se cache de la vache, ce qu’elle mange et ce qu’elle produit.
Le succès commercial et médiatique de ce premier produit a permis de lancer le studio et la marque Atypyk. Les deux premières années, nous avons gardé, Jean-Sébastien Ides et moi, nos jobs respectifs. Moi publicitaire et lui directeur artistique freelance. Nous en profitions pour mettre sur le marché d’autres petits produits, comme l’un de nos plus gros cartons, le briquet « its mine ». Nous trouvions amusant le fait qu’un briquet jetable soit dénué de valeur sauf quand le propriétaire d’un dit briquet se le fait voler et qu’il ne peut plus allumer sa clope. L’objet prend alors une valeur soudaine. À la différence de la tâche, nous ne jouions plus sur l’objet mais sur la relation qu’il peut établir entre deux personnes. De fil en aiguille nous avons mis des mots sur les objets, nous avons relevé et imaginé des situations et avons construit des collections qui durent depuis vingt ans. Par exemple, nous savons tous que les gens chantent sous la douche. C’est international. Nous avons donc imaginé une éponge de douche en forme de micro. Une simple observation des habitudes a produit un simple objet, intemporel et universel, qui prête à sourire et parfois à réfléchir. Nous essayons toujours de faire des objets hors des modes afin qu’ils aient la longévité la plus forte possible.
Peut-on parler de gadgets d’art ?
Le mot gadget est lié à la forme et à la dimension des objets, voir aux matériaux employés. Ceci dit, je ne sais pas si le terme gadget est le bon, bien que nous n’en soyons pas loin. Nous parlons d’objets « futilitaires », car nos projets semblent futiles au premier regard et pourtant ils ont tous une fonction et une réflexion. La notion d’art est présente, elle, grâce au second degré et réflexions que peuvent avoir nos projets.
Je rebondis sur la dimension artistique pour en venir à vos commandes spéciales, comme pour le MoMA à New-York, pouvez-vous parler de ces projets ?
Pour les musées, nous avons plusieurs axes. Nous sommes dans quelques collections permanentes de musées, essentiellement de design, et aussi dans les boutiques de très grands musées, comme le MoMA. Nos placements dans les boutiques de musée sont très bons, ils terminent un parcours de visite au milieu d’œuvres où le visiteur s’est ouvert à l’art et à la réflexion. Une fois face à nos produits, il en comprend plus aisément le sens. De plus, nos objets sont petits et légers, facilement transportables, ce qui explique aussi leur succès dans ce type de boutique.
Nous faisons aussi quelques collections limitées, comme pour le MoMA justement, qui nous a commandé des boules à neige, à l’image de Atypyk, qui ne sont plus de simples boules à neige mais à tempête de neige. Le Moulin Rouge nous a également réquisitionnés pour ce même type de produit. Nous proposons aussi des éditions limitées et numérotées directement sur notre boutique en ligne. Sans jamais vraiment communiquer sur ces « pièces plus rares ». Nous aimons l’idée que seules cinquante personnes dans le monde aient un même objet, et que tous ne le sachent pas.
On compare parfois vos réalisations à celles de Pierpaolo Ferrari et Maurizio Catelan pour Toilet Paper, qu’en pensez-vous ?
Pour nous Maurizio Catelan ce n’est pas un modèle mais c’est un artiste dont nous adorons la démarche, dont nous avons la plupart des ouvrages, dont nous allons voir les expositions. Toilet Paper est une réelle comparaison positive pour Atypyk. En revanche, en parlant d’inspirations, je m’écarte de la question pour évoquer les imitations. Ce qui nous pèse c’est d’avoir le sentiment d’avoir parfois ouvert des voies et d’avoir été copiés par des gens qui simplifient l’idée et l’objet pour le décliner au plus grand nombre. Ça nous énerve vraiment d’être mal copié, que les falsificateurs détruisent le concept pour le commerce. Nous préférerions être bien imités. Par exemple la règle pistolet, qui s’inspirait de nos imaginaires d’enfants, a été reproduite de très nombreuses fois, et trop souvent de manière grossière, trop colorée ou peu enfantine.
Un exemple marquant de plagia ?
Parmi les plagias les plus nuls que nous avons subi, il y a nos planches à découper. Nous trouvions que cet objet avait un peu le format d’un livre, nous avons donc fait une planche en chêne, formée comme un livre, titrée « Roméo et Julienne ». À partir de là, les imitations furent toutes plus nulles les unes que les autres, sans imaginaire, sans rien.
Quel objet auriez-vous aimé créer avec Atypyk mais qui malheureusement ne verra jamais le jour ?
C’est dommage, mais avec Atypyk nous nous heurtons parfois à des soucis de fabrication. Nous voulions faire des haltères en marbre, en une seule pièce comme une sculpture, tout en respectant exactement les dimensions et les poids. Après avoir échangé avec plusieurs marbriers nous avons dû renoncer au projet qui malheureusement n’était pas réalisable. Le diamètre des barres d’haltères, ici en marbre, n’aurait pas résisté au deux poids.
Alexandre Fisselier