Mathilde Biron n’est pas vulgaire
À quelques jours de la sortie de son premier livre Ne sois pas vulgaire, aux éditions Les Presses Littéraires, rencontre avec l’artiste Mathilde Biron.
Tu es photographe et modèle, tu peins à l’encre et penses des performances. Tu conçois quelques DA et joues face caméra. Avec ces divers médiums, Mathilde, quel est ton rapport à l’art ?
Mon rapport à l’art se base uniquement sur une question : comment parvenir à transmettre ma vision sur ce qui m’entoure aujourd’hui ? Et mes réponses sont souvent liées au corps, de différentes manières. Lorsque je suis photographe, je m’occupe exclusivement de mon intuition qui souligne une volonté que j’ai, à un instant T, de montrer un corps avec une intention particulière. Et lorsque je suis modèle, je suis certes dirigée, de manière plus ou moins stricte, ma liberté n’est donc pas toujours la même, et pourtant, j’arrive à m’approprier significativement mon corps.
Mes émotions initient mes envies. Pour la peinture, j’ai remarqué que je m’y mets plus volontairement quand je suis un peu abattue, d’humeur morose. C’est presque romantique. Pour les autres pratiques, par défaut, comme les séances sont presque toutes exclusivement planifiées bien en amont, mes émotions participent moins. Je peux imaginer une direction dans un certain état d’esprit et être à l’opposé mentalement le jour du shooting. Mais là réside un grand intérêt de ces pratiques qui réacquièrent une préparation. Je sélectionne en avance l’appareil photo, la pellicule et le modèle. C’est plus cadré que ma peinture uniquement spontanée.
La liberté est un moteur important de ton art. Peux-tu y mettre des mots ?
C’est amusant de parler de liberté, car j’ai commencé par la peinture, avant de chercher plus de rigueur ailleurs. Avec la peinture, je suis en évolution. Mon style actuel ne reflète pas ce que je désire atteindre comme pratique. Sans pour autant parler de version bêta de mes encres. Elles n’ont simplement pas encore l’essence féminine que je désire y injecter. C’est pour cela que j’ai ajouté la couleur rouge en plus du noir. Ce n’est pas une révolution, mais ça me sort du seul format noir et blanc. Puis, je ne suis pas pressée. Il faut aussi savoir que j’ai fait une période d’anorexie assez forte plus jeune, ce mal m’a habitée et torturée, et cela se retrouve dans mes croquis, où un malaise apparaît par la caricature.
Pour revenir à la liberté, je pense que je n’ai pas peur d’explorer les fantasmes. Je refuse de me mettre des barrières conventionnelles pour rester une gentille fille. Je trouve tellement triste de vivre avec anxiété pour ne pas heurter autrui. Si l’autre panique à l’idée de passer une frontière, pourquoi devrais-je également trembler ?
Toi tu n’es pas obligée de trembler, mais pourtant la société te rattrape. Tu as été victime d’une censure Instagram, ton compte pro a été supprimé. Comment analyses-tu cela ?
Ça me pousse à aller plus loin. Ainsi, j’ai réalisé une séance érotique, à la lisière de la pornographie, où je me mets en scène avec un amant, dans mon propre lit. C’est plutôt ironique, la censure est presque excitante, elle accule jusque dans les retranchements, et me sert de moteur. Enfin, là on se cantonne à la partie positive, car cette censure, en agissant sans alerte et aveuglément, m’a ôtée de nombreux contacts, d’une belle vitrine, et d’un réseau grandissant. Sans jouer la course aux followers, devoir bâtir un nouveau compte et se battre pour récupérer près de dix mille personnes est assez lassant. En 2018, que nous soyons rattrapés par la « morale » est triste. Une galerie m’a rappelée il y a peu pour me dire que nous n’allions finalement pas collaborer car mes « photos sont trop choquantes », car trop crues et sexuelles. Aussi, avant de trouver mon éditeur, j’ai essuyé plusieurs refus gênés : « On adore ton travail, mais nous ne savons pas comment le présenter… »
Pourtant, tu n’es pas plus choquante qu’un Nobuyoshi Araki. Mais tu n’as pas 78 ans, tu n’as pas eu la chance de commencer dans les années 1970, et tu n’es pas un homme. Et tu n’es pas plus choquante qu’un Terry Richardson. Mais tu n’as pas 53 ans, tu n’as pas eu la chance de travailler pendant les années porno-chic, et tu n’es pas un homme. Selon toi, quel est ton problème ?
Alors, je suis certes une femme, je suis jeune, et surtout, j’ai le malheur de poser, de me montrer nue, et là ça devient complexe. Je pense que les gens ne sont pas près à voir leurs collaborateurs à poil… Ça fait peur. Sans jugement de valeurs, je pense qu’aujourd’hui il est simplement plus aisé pour une galerie d’exposer un jeune artiste qui parle à un grand nombre, que de pousser en avant un nouvel artiste plus sulfureux. Selon beaucoup, il faut laisser l’esprit anticonformiste aux anciens, à ceux qui ont déjà une cote. N’est-ce pas triste ?
En parlant de sulfureux, allons vers ton travail. Peux-tu nous parler de ta série photo « In my Bed » ?
Lorsque j’ai pris les photos, pendant un acte sexuel, je trouvais cela excitant, sans grandes attentes. Puis au développement, j’ai trouvé le résultat intéressant. Je mettais en scène mon intimité, on me voyait faire l’amour. C’était inédit. Certes, de nombreux clichés de moi nue, dans diverses poses et situations, existaient déjà, mais là je passais un cap. C’est aussi avec cette série que j’ai commencé à monétiser mon travail. Si les gens aimaient, et exprimaient le désir d’en voir plus, concrètement de me voir totalement mise à nue, ils allaient devoir contribuer un peu. Et cette démarche commerciale a eu un impact auquel je n’avais pas pensé au départ : avoir une vue sur mon public. Naïvement, j’imaginais un très large pourcentage d’hommes et pourtant non. C’était très gratifiant de découvrir que mon public est très mixte. J’appréhende bien mieux mon image, un bel avantage pour qui souhaite vivre de ses productions artistiques. Maintenant, je vais plancher sur la vente de photos, j’entame les démarches administratives pour officialiser tout ça.
« In my Bed » n’existerait peut-être pas sans la série qui t’a révélée : « In Bed With ». Quelle est l’histoire de ce projet ?
Cette série a une genèse un peu hasardeuse. Il y a plus de deux ans, je suis partie en vacances avec une de mes meilleures amies. Nous vivions alors dans une petite maison avec un autre ami. Un soir, ils ont couché ensemble à côté de moi, et j’ai eu la soudaine envie de les photographier. Je n’était pas gênée, pas excitée, je me sentais dans mon rôle, c’était naturel. À la suite de cette première expérience, j’ai continué à photographier des couples en plein acte, mais uniquement des amis pour commencer. J’ai alors publié les premières photos de cette série sur Instagram, où l’on m’a alors contactée. J’ai alors rencontré des couples d’inconnus, d’horizons divers, légitimes ou non, amoureux ou non, ensemble depuis cinq jours ou cinq ans. Le processus, avec ces anonymes, était quasiment tout le temps le même. Le shooting se déroulait en fin d’après-midi, début de soirée, je me rendais chez eux avec une bouteille de vin, nous parlions puis à un moment les choses se lançaient naturellement. Je ne mettais aucune limite, jamais je n’ai dit « Stop ! Attendez ! Je prends une photo ». Mon rôle était alors de m’adapter, et d’être la plus discrète possible.
Il faut aussi savoir que par respect et professionnalisme, j’ai toujours fait un retour aux couples après les séances. Malheureusement, ce souci d’éthique et de simple courtoisie, est très frustrant car de nombreux couples refusaient alors la diffusion des clichés. En préparant mon livre, j’ai repris contact avec d’anciens modèles pour une question de droits, les réactions ont été diverses. Comme les shooting datent pour certains, les refus et acceptations de diffusion n’étaient pas forcément ceux attendus.
Peux-tu parler de ta série « Ne sois pas vulgaire » ?
L’idée était de surfer sur notre époque. J’ai repris des messages que des mecs m’envoient sur Instagram et les ai appliqués sur des photos numériques additionnées d’un filtre pola. Je trouvais cela amusant de confronter le Polaroïd au sexto. L’ancienne immédiateté physique et la nouvelle instantanéité digitale. Je voulais transcrire une réalité de la jeunesse. Je ne suis pas vieille et pourtant je vois mon petit frère échanger des nudes avec des meufs avant même de les rencontrer. Ils sont encore plus dans la surconsommation d’images et pourtant nous ne sommes vraiment pas éloignés en âge.
En savoir plus sur Mathilde Biron : Site – Instagram
« Ne sois pas vulgaire », par Mathilde Biron, aux éditions Les presses littéraires