Pascal Allaman, architecte d’une sophistication simple
Architecte d’intérieur et designer, Pascal Allaman, l’est assurément. Cet expert de la scénographie d’hôtellerie quatre ou cinq étoiles a déjà, rien qu’à Paris, aménagé l’hôtel Marriott et le Claridge des Champs Elysées, le Montalembert, le Bel-Ami ou encore le Beauchamps. Son style, basé sur le contraste et un élégant sens du minimal chaleureux, emprunt d’un maniérisme sobre, lui permet de s’exporter hors de la capitale, sur de nombreux projets, de San Diego à Sao Paulo, en passant par Mexico, Val Thorens ou encore Casablanca.
De multiples parcours existent pour devenir architecte d’intérieur. La mise en scène de lieu, au croisement de plusieurs disciplines, offre différentes voies d’entrées. Pascal Allaman, pouvez-vous revenir sur votre itinéraire ?
J’ai fait l’Ecole Supérieure des Arts Modernes, à la suite d’une formation en tapisserie, le sujet m’intéressait tout simplement. Je trouvais cet artisanat captivant par ses richesses. Puis, à la suite de mes études, j’ai enchainé plusieurs expériences dans des cabinets d’architecture intérieure. Quand j’ai débuté, nous étions en pleine période du marché moyen-oriental, très dans le relooking de palais. Ces expériences étaient pour moi très amusantes, avec toute cette espèce de démesure nouvelle et improbable pour le jeune parisien que j’étais.
Après trois-quatre années dans ce milieu, j’ai poursuivit ma route avec d’autres agences, où je pense avoir vraiment compris l’âme du métier. J’ai saisi les subtilités avec Michel Boyer, chez qui je suis resté plusieurs années. En plus d’être une figure forte du métier, il faisait preuve d’une grande humanité, travailler avec lui était très agréable. Ensuite, je suis allé exercer chez Didier Gomez, lui m’a montré l’intérêt qu’il y avait à ne pas simplement traiter l’architecture intérieure uniquement. Avec lui, il fallait aussi apporter sa patte, son univers, à travers le mobilier et l’art. Lui, qui dessine également des meubles pour de grands éditeurs français comme internationaux, m’a fait comprendre l’importance de toujours intégrer dans les projets du mobilier inédit. Et enfin, cheminement logique, après toutes ces expériences, je me suis lancé seul.
En 2000… Cela fait près de vingt ans. Quel fut l’élément déclencheur ?
Disons que le principal élan m’a été donné par l’envie de prendre du plaisir dans ce que je fais. Mes précédentes expériences professionnelles étaient satisfaisantes mais il est arrivé un moment où, avec Didier Gomez, nous œuvrions sur des projets moins intéressants que d’autres. Cela était imputable aux raisons économiques, son agence comptait une vingtaine de personnes, pour faire vivre toute cette entreprise, il fallait parfois s’occuper de choses moins excitantes, moins passionnantes, mais utiles financièrement.
Le déclic s’est produit le jour où Didier Gomez m’a fait l’honneur de me confier un très gros projet, qui avait pour but de faire tourner l’agence. Seulement, je n’ai pas eu le courage de me lancer dans une aventure étalée sur plus de deux années, où l’unique intérêt était économique. J’étais arrivé à un stade de ma carrière où je ne m’imaginais plus faire les choses sans panache et passion, alors un matin j’ai annoncé mon départ. J’ai eu beaucoup de chance avec le calendrier, car aussitôt après ma démission, je suis allé en Angleterre où l’on m’a appelé pour me confier un projet à Paris. Seulement une semaine après mon envol.
Au début, pour faire évoluer votre marque Pascal Allaman, vous avez enchainé plusieurs contrats, allant du siège social d’une assurance aux appartements privés. Dans ces projets du début, pourriez-vous revenir sur Blancpain plus particulièrement ?
À cette époque, le Swatch Group rachetait des marques luxueuses comme Breguet et Blancpain. Nicolas Hayek pensait alors asseoir la position de leader de Swatch avec une légitimité appuyée par des maisons horlogères de grande qualité et renommées. En parallèle de ses acquisitions, le groupe voulait accentuer sa domination par l’ouverture de boutiques griffées. À l’époque, Blancpain, n’était qu’une superbe marque uniquement distribuée. Dans cet élan d’expansion, j’ai eu la chance d’être sélectionné pour réaliser les premières boutiques Blancpain rue de la Paix à Paris, ou encore sur la Croisette à Cannes.
Ce genre d’expérience est toujours vecteur de ricochets car, par la suite, le Swatch Group est revenu vers moi pour me confier la création de boutiques dans des aéroports. J’adore les effets ping-pong de mon métier, ces projets qui en appellent d’autres, c’est très gratifiant.
Au-delà des boutiques, des appartements privés et autres « bureaux », la marque Pascal Allaman est essentiellement notoire pour ses scénographies hôtelières. Comment vous êtes-vous spécialisé ?
Mon arrivée dans le monde de l’hôtellerie est le fruit d’une rencontre, avec Grace Leo. Elle avait repris l’Hôtel Montalembert avec Christian Liaigre à la fin des années 1980, et ils en avaient fait ce que l’on pourrait appeler l’un des premiers Boutique-hôtel. À l’époque, j’avais croisé Grace et le hasard a fait que nous nous sommes très vite appréciés. Quelques années après, alors que j’étais lancé, elle m’appela pour me proposer un projet à Londres. D’ailleurs, l’anecdote est assez drôle. Grossièrement, Grace Leo m’appelle et me dit : « Nous sommes sur un projet à Londres, l’Hôtel Cadogan, il ouvre dans un mois et nous avons complètement oublié de faire le restaurant. Comme nous l’avons oublié, nous n’avons plus de budget mais il faut absolument que tout soit prêt pour l’ouverture. Veux-tu t’en occuper ? » Le lendemain, je partais à Londres pour créer un restaurant sans moyen.
Suite à cette expérience, très vite Grace Leo m’a à nouveau contacté pour me confier cette fois-ci un hôtel à Paris, le Bel-Ami. Puis tout s’est emballé. À la suite, j’ai fait The Royal Riviera à Saint-Jean Cap-Ferrat, The Cotton House sur l’île Mustique, le Beauchamps à Paris. En somme, un magnifique lot de très beaux projets. Puis un jour, Grace m’a envoyé l’un de ses amis, le propriétaire du Marriott Champs-Élysées, qui m’a confié tout l’hébergement de l’hôtel.
Au long de votre parcours, l’essor des formats Boutique-hôtel et autres hôtels très design s’est accru. Aussi, la clientèle recherche plus volontiers un bel hôtel, avec des outils simplifiés grâce aux technologies. Avez-vous ressenti ces dernières années une évolution du discours des hôteliers vis-à-vis de la décoration ?
J’ai surtout constaté une accélération du rythme des projets d’hôtels. Quand le schéma Boutique-hôtel a émergé, il existait un certain type d’hôtels, avec des préceptes qui sembleraient ringards de nos jours. Depuis que j’ai commencé, l’hôtellerie est devenu un très gros business. Il suffit de regarder le nombre d’ouvertures chaque année. Tout ce développement s’est accompagné d’une montée en gamme. Par exemple, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler pour moins que quatre étoiles, il y a eu un réel positionnement vers le haut pour plaire aux clients et surtout lutter contre une concurrence toujours plus forte.
Aujourd’hui, nous sommes dans un moment difficile, la vision de l’hôtellerie a beaucoup bougé avec la façon dont les gens voyagent. La demande en nouvelles technologies se fait de plus en plus forte, ce qui est parfois compliqué car pour ma spécialité qui est le marché parisien, les contraintes des lieux sont importantes. Mes projets s’inscrivent quasi systématiquement dans des immeubles de type haussmannien, donc atypiques et surtout peu adaptés à l’hôtellerie moderne, il faut donc repenser de nombreux éléments du métier.
Autre pan des nouvelles technologies, l’importance de certains réseaux sociaux comme Instagram. Dans les demandes des hôteliers retrouvez-vous cet intérêt pour une décoration photogénique ?
Les hôteliers se préoccupent de plus en plus de l’impact des réseaux sociaux dans leur communication. Ils tentent de gérer cela du mieux qu’ils peuvent. Il suffit de voir la portée néfaste que peut engendrer un mauvais commentaire, sur un site comme TripAdvisor, pour comprendre l’importance de cet axe relationnel. Mes clients prennent très au sérieux ces problématiques et essayent d’intégrer les remarques constructives du mieux qu’ils peuvent. Après, nous nous retrouvons parfois confrontés à des demandes irréalisables pour Paris, avec nos bâtiments classés. Mon objectif d’architecte d’intérieur est de répondre au panel le plus large possible tout en restant réaliste, pertinent et élégant.
Parlons de vos projets hôteliers parisiens. Pourquoi faire appel à Pascal Allaman ? Quelle est votre signature ?
Mes commanditaires attendent de moi que je donne du style à leurs hôtels. Ils souhaitent que je les aide à se créer une identité, tout en mettant en avant l’histoire du lieu. Peut-être moins évident au premier abord, les hôteliers désirent aussi mettre en avant leur art de recevoir. Je dois transcrire avec la mise en scène toutes les attentions qu’ils veulent transmettre à leurs clientèles. Tout en définissant un style identifiable permettant aux clients de s’ériger des souvenirs mémorables dans leurs établissements.
En général, je rencontre les hôteliers pour comprendre au mieux leurs attentes. Je les laisse parler, afin de recueillir la vision globale des ambitions qu’ils se font de leur projet. Ensuite, je visite le lieu, ce qui m’apporte des intentions décoratives, des meubles aux tissus. Cette visite est très importante en cas de restructuration, comme pour l’hôtel Montalembert. J’adore ce travail d’architecture intérieure, pour moi c’est la base de tout, le jeu sur les volumes et les lumières est très enrichissant. Malgré le fait que je ne sois pas un minimaliste, pur et dur, j’oserais me contenter d’avoir dessiné une belle boite. Si elle a de belles proportions et une jolie lumière… J’ai envie de dire qu’un hôtel peut se satisfaire de ça, avec une literie impeccable et confortable. C’est un peu ma vision du cinq étoiles. Cependant, les hôteliers ne l’entendent pas comme ça.
Ainsi, la structure de l’espace est la chose la plus importante, la suite vient presque d’elle-même. De manière évidente, le mobilier et la décoration trouvent leurs places dans le nouveau lieu. La structure souffle au designer les proportions pour le mobilier, quand je dessine un meuble pour un hôtel, je sais qu’il s’inscrira parfaitement à tel endroit précis.
Architecte d’intérieur, c’est mettre en scène ses propres goûts et connaissances au profit d’un lieu précis, jouissant d’une âme particulière. Ainsi, Pascal Allaman, vous devez constamment explorer de nouvelles cultures afin de vous imprégner de leurs influences, rechercher de nouveaux matériaux et savoir-faire. Comment organisez-vous ce travail ?
Avec le temps, les gens viennent, de plus en plus, directement vers moi pour me présenter leurs expertises. Aussi, en France nous avons la chance de compter de nombreux artisans. Même si certains corps de métiers se meurent malheureusement, nous avons chez nous cette volonté de les faire perdurer. Souvent, de jeunes personnes passionnées perpétuent les traditions… Et parfois, les font évoluer pertinemment. Ainsi, nous avons un réseau important et bien ancré qui facilite les relations avec les artisans mais également entre eux. Aujourd’hui, je connais la majorité des gens avec qui je collabore depuis longtemps, et eux me présentent d’autres artisans en qui ils ont confiance. Le réseau s’alimente de lui même par la confiance et la passion.
Si je prends en exemple les tapis. J’en ai dessiné quelques-uns et fait réaliser beaucoup. Dans le processus, le créateur est amené à rencontrer différents acteurs qui pourront l’orienter vers telle entreprise normande très qualitative ou telle maison parisienne reconnue ou encore tel nouvel atelier prometteur en Inde. Aussi, les agents se sont développés dans ce secteur, et eux savent qui proposer pour des projets très précis.
Parmi les différents matériaux que vous utilisez, en préférez-vous certains ?
J’adore le métal, et surtout le bronze, voire le laiton traité bronze. Le côté froid du métal disparaît avec le bronze qui au contraire est très chaleureux. En plus, le métal est très malléable, il est possible de le travailler sur des formes souples comme très structurées. Pour moi, c’est un matériau dur qui ne l’est pas.
Sinon, je suis particulièrement friand des contrastes entre les matières, j’aime opposer les choses. Par exemple, si je choisis un tissu sophistiqué qui me plait à un instant T, j’aurais très certainement l’envie de le mixer ultérieurement avec quelque chose de plus brut et plus naturel. J’ai l’impression de laisser transparaitre un certain esprit décomplexé contemporain lorsque je contraste les matières.
Pascal Allaman, êtes-vous de ceux qui comprennent l’art – toiles comme sculptures – dans leur scénographie ?
Je pense que si l’on veut transcrire un univers, il est nécessaire de passer par un ensemble de points, et selon moi les œuvres d’art en font partie. Je crois d’ailleurs avoir fait acheter ses premières toiles à un client particulier, un jour où nous étions en recherche dans une foire d’art, afin de souligner son style intérieur, et donc son propre style. Grossièrement, intégrer de l’art aux projets architecturaux c’est mettre la cerise sur le gâteau. L’art vient in fine composer toute l’histoire d’un lieu.
D’ailleurs, quelles sont vos influences culturelles ?
Mes premiers voyages en Asie. Je suis très sensible à l’esthétisme rigoureux et géométrique de ce continent. Lorsque je pense à l’Asie, j’imagine quelque chose de très simple, d’assez minimal, où les matériaux sont mis en valeur. Même les objets anciens arrivent à avoir une touche très contemporaine. Tout cela, je le savais avant mes voyages, mais depuis j’y suis réellement sensibilisé. J’apprécie également beaucoup les tissus africains, surtout les motifs batik que l’on retrouve également en Asie. Les créations textiles de Aissa Dione, qui a racheté de vieux métiers à tisser lyonnais pour les installer dans ses ateliers à Dakar, sont formidables. Elle travaille le coton ou encore le raphia dans des créations diverses, comme des tissus semblables à de la soie. Elle use de pigments naturels pour des rendus plus authentiques et qualitatifs.
J’adore José Maria Sert, un peintre décorateur, ami de Gabrielle Chanel. Ses réalisations sont fantasmagoriques et assez éloignées de mon univers. Même si c’est fou, et plein de symboles, je trouve cela magnifique visuellement. Je me souviens d’une maison que j’ai visitée à Buenos Aires où il a fait un salon dans un vert émeraude extrêmement sombre, rehaussé par des encadrements en laiton insérés dans les murs. Ce n’est pas un style que je réutilise, qui inspire directement mon travail, mais je trouve cela entêtant.
Sinon, de manière générale, j’aime l’art contemporain… Mais aujourd’hui, nous évoluons dans un univers où nous sommes constamment mis face à d’innombrables images. De ce fait, je trouve cela plus compliqué de se focaliser sur un type d’art ou d’artistes à citer lorsque l’on m’interroge. Mes préférences de ce jour ne sont pas nécessairement les mêmes que le mois dernier, on découvre sans cesse.
Comment fait-on, lorsque l’on est architecte d’intérieur, pour ne pas se lasser de son propre chez-soi ?
Déjà, on n’organise pas son propre domicile comme un chantier. Aussi, dans mon cas, je ne vis pas seul et, n’étant pas un tyran du style, je n’ai pas envie que mon intérieur ne reflète que ma personnalité. Il faut prendre en compte l’osmose des personnes vivant ensemble, qui se nourrissent l’une et l’autre. Dans notre cas, nous aimons ramener des souvenirs de nos voyages – du tissu pour des coussins ou des rideaux, des lampes chinées au Portugal, un tableau ramené sous le bras depuis Madrid, ou encore, plus volumineux, un bureau que nous avons acheté à Pékin.
Après il serait malhonnête de ma part de renier le filigrane que j’ai en tête, mais disons que pour son propre domicile nous pouvons nous laisser le temps. Surtout que chez moi, je n’aime pas que les choses soient abouties. Par exemple, je laisse mes tableaux posés au sol – ce qui apporte une sorte d’anticonformisme bienvenu et un côté très atelier. Le fait de ne pas figer les choses apporte également un sentiment de liberté très agréable et laisse la place à l’inattendu.