Liste Rose de Valérie Mréjen
Valérie Mréjen, artiste polymorphe, fait du quotidien et du commun son champ d’expression privilégié. Pensionnaire de la très prisée Villa Médicis entre 2002 et 2003, et de la Villa Kujoyama à Kyoto entre 2010 et 2011, Valérie, qui manie les mots avec un talent naturel, dans un style hautement moderne, fut en 2002 l’invitée d’honneur de l’Oulipo, le groupe littéraire fondé par le mathématicien François Le Lionnais et l’écrivain Raymond Queneau. Environ une centaine d’expositions collectives ; environ une cinquantaine de films – courts comme longs – réalisés ; environ une trentaine d’expositions personnelles ; environ une dizaine de livres écrits ; Valérie Mréjen est assurément une artiste assidue – habituée des listes. En 2011, elle co-réalise avec Bertrand Schefer, autre pensionnaire de la Villa Médicis, le long métrage En ville, sélectionné lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Le film met principalement en scène Lola Créton, le Césarisé Stanislas Merhar et la multi Césarisée Adèle Haenel.
Du 2 au 24 février 2018, Valérie Mréjen propose à la galerie Dilecta de retrouver avec Liste Rose (1997-2017) ses premiers travaux réalisés en 1997. Une série de collages explorant avec humour les possibilités du langage dans des petites annonces – libertines – composée de noms propres devenant si communs.
Valérie Mréjen, pourquoi et comment avez-vous exhumé vos œuvres pour Liste Rose (1997-2017) ?
J’avais déjà travaillé avec Grégoire Robinne, le directeur de la galerie et des éditions Dilecta, et avais montré certaines petites annonces lors d’une exposition autour de Locus Solus de Jean-Michel Othoniel, un bel ouvrage en hommage à Raymond Roussel. Grégoire Robinne trouvait que mon travail pouvait s’inscrire en résonance avec Raymond Roussel, il m’a donc proposé de faire partie de l’exposition pour laquelle j’ai suggéré mes petits collages de Liste Rose. Aussi, les éditions Allia viennent de rééditer mon premier livre Mon grand-père, publié pour la première fois en 1999, ainsi que mon second, L’agrume, publié en 2001. Ces deux ouvrages atteignent quasiment la double décennie, comme mes collages de Liste Rose que j’ai très peu montrés – ils ont été surtout diffusés sous forme de publications. La galerie du jour agnès b. avait édité un petit livre d’artiste composé de ces collages en 1998 pour accompagner mon exposition Meilleur souvenir, sur les cartes postales, qui s’y tenait. Donc au final, j’avais peu exposé Liste Rose et c’était l’occasion de faire quelque chose autour. J’ai effectué un essai d’agrandissement pour voir ce que cela pouvait donner, puis j’y ai trouvé un sens, une résonance au niveau plastique. Les petits formats sont les originaux, mais je voulais les faire tirer en haute définition pour bien avoir la sensation du papier collé, c’était important de ne surtout pas perdre l’esprit collage. Je trouvais intéressant de faire une nouvelle version d’un même objet.
Depuis 1997, les annuaires – sources de vos travaux pour Liste Rose – ont perdu de leur superbe. Aujourd’hui, toutes les informations se trouvent sur internet.
Oui, absolument. Les annuaires n’existent quasiment plus, cependant j’ai eu le temps de faire énormément de choses sur ce support à l’époque. Mais assez vite, j’ai tourné la page, j’ai vite compris que ma série sur les listes avait un début et une fin et que je n’avais aucune envie de continuer là-dessus et de devenir une sorte de monomaniaque de l’annuaire. Mais en effet, cet objet est en voie de disparition, il n’existera bientôt plus.
Au-delà de l’annuaire, même les petites annonces s’éteignent peu à peu, également au profit d’internet.
C’est vrai. Le rapport que j’entretiens par rapport à cela est un certain attachement, pas nécessairement nostalgique. Je ne me suis jamais posée la question de la compréhension pour les futures générations car, selon moi, on comprend malgré tout que cela a existé un jour, qu’avant internet, il y avait le papier. Au final, c’est plus un rapport à la langue et à cet objet qu’est l’annuaire, car les pages blanches existent toujours. L’annuaire est un objet qui m’a énormément intéressée. Ce registre qui recense un tas conséquent de gens habitant un même lieu, dont on peut épier l’intimité.
Parmi tous ces gens cités dans Liste Rose, certains ont-ils vu vos travaux intégrant leurs noms ?
Non, je ne crois pas. Après, je n’ai jamais cherché à me mettre en contact avec eux. Cependant, j’ai pu rencontrer des personnes figurant dans mes travaux comme Bernard Comment, ou encore Daniel Soutif – qui est un ami d’ailleurs – mais ça c’était une blague. À l’époque, déjà, nous nous étions rencontrés lorsque j’avais commencé les collages.
Sinon, jamais d’inconnus, il y a bien des gens qui m’ont dit connaitre des personnes dans la liste, mais je n’ai jamais pris mon téléphone ou ma plume pour contacter les « figurants ». J’avoue que j’avais un peu peur que certains ne réagissent pas très bien.
Dans l’ensemble de vos travaux, plastiques, vidéos, ou encore écrits, je retrouve constamment une certaine forme d’humour. Vous parliez de la réédition de L’Agrume, un exemple évocateur, où l’ouvrage conte une relation amoureuse page après page, sans relâche, puis s’achève sur une rupture froide, en avant dernier paragraphe, sous les néons d’un fast-food. Pour moi, Valérie Mréjen, vous faites de l’ « humour froid ». Ce terme vous correspond-t-il ?
Absolument. Je me reconnais totalement là-dedans, un côté pince-sans-rire, avec des élans Buster Keatonien. Un humour touchant, parfois loufoque.
Par exemple, dans Eau Sauvage, le lecteur passe d’un paragraphe traitant de circoncision, à « Mettez-vous à l’aise ! Je vous sers un peu de caviar d’aubergine ? Vous voulez des poivrons ? Ça ? De la pastilla… »
J’aime bien les effets de juxtaposition qui créent des scènes absurdes. Cet humour se base sur des sortes de collages entre des propos qui n’ont pas grand rapport les uns avec les autres mais qui finalement peuvent être dits par un même personnage. Dans Eau Sauvage, je souhaitais montrer différents aspects de la personnalité du narrateur en exacerbant un certain humour. Ici, le comique involontaire est le fruit de va-et-vient sans transition entre des moments de grande maladresse et de lourdeur, dont les parents savent faire preuve, et des moments de proximité, de véritable tendresse. C’était une façon de créer une sorte de drôlerie et liste drôle. C’était un peu comme cela que j’avais envie de montrer mon personnage, j’ai donc travaillé les contrastes en aménageant des ruptures.
Dans Liste Rose (1997-2017) à la galerie Dilecta, on ne trouve pas uniquement des petites annonces mais également des listes plus factuelles, comme des listes d’animaux faites, encore une fois, avec des noms propres.
Quand j’ai commencé ma série sur les annuaires, j’ai débuté par ces listes-ci. J’ai pris l’annuaire de Paris, que j’ai lu en entier en relevant tous les noms propres qui sont des noms communs et j’ai commencé à les mettre de côté, à les écrire à la main sur des feuilles. En lisant tous les noms que j’avais récoltés, j’ai relevé des thèmes qui revenaient, comme les animaux, les qualités, les défauts, les repères temporels, les couleurs. Ainsi, le premier travail que j’ai fait avec ça, c‘est une vingtaine de listes, sur papier A4, dont quatre sont agrandies pour l’exposition. C’est seulement après les premières listes thématiques que je me suis rendue compte que je pouvais également écrire des petits messages dans un style un peu télégraphique. À partir de là, j’ai pu faire mes séries Petites annonces et Cartes postales qui sont, pour la seconde série, des messages de vacances comme « arrivé tard », « demain pique-nique ».
Pourquoi choisir de faire seulement quatre éditions additionnées d’une édition d’artiste pour les grands tirages ?
Le choix fut assez arbitraire, avec Grégoire Robinne nous ne voulions pas en faire trop, mais pas non plus restreindre à deux tirages. Surtout que c’est la première fois que je le fais. Nous avons fixé à quatre plus un le nombre de tirages pour faire exister ces collages d’une manière inédite. Nous voulions ouvrir les travaux à plusieurs personnes, sans en faire des sérigraphies lambda ou des éditions un peu cheap. Quatre plus un, c’est bien, on s’y tient. Nous voulions que les multiples ne perdent pas le caractère unique de l’œuvre initiale, et surtout que jamais en allant chez quelqu’un, on puisse se dire « oh, moi aussi, j’ai mon affiche Valérie Mréjen ».
Quelles sont vos influences culturelles ?
Malheureusement, j’ai toujours l’impression de citer les mêmes références, alors maintenant j’essaye de me creuser la tête pour en trouver de nouvelles. J’ai l’impression de n’avoir lu que trois livres. Évidemment, il y a les livres de Georges Perec et de Marguerite Duras, les films de Raymond Depardon, de Jean Eustache, de Alain Cavalier, de Chantal Akerman, des gens qui sont pour moi une source inépuisable d’inspirations et de plaisirs. J’aime découvrir une œuvre et me sentir plus forte à la suite, avoir l’impression d’avoir fait la bonne rencontre et de pouvoir avancer plus aisément dans la vie.
En spectacle vivant, j’apprécie beaucoup le travail de Philippe Quesne et Arthur Nauzyciel. D’ailleurs, avec Arthur nous allons très prochainement faire une adaptation ensemble…
Découvrir le travail de Valérie Mréjen | Remerciement Galerie Dilecta
Alexandre Fisselier