Antonin Mongin, l’art du cheveu
Antonin Mongin, jeune artiste découvert grâce au Prix 2017 de la Jeune Création des Métiers d’Art puis rencontré à Maison&Objet, balance admirablement entre artisan passionné et artiste passionnant. Blotti dans une niche étonnante, tombée de nos jours en désuétude, Antonin Mongin réanime et galvanise un art ancien dans un élan contemporain tant poétique que bien venu.
Comment en es-tu arrivé à travailler le cheveu ?
J’ai fait un master en Design textile et matière à l’École des Arts Décoratifs de Paris, où je suis désormais doctorant en textile innovant. L’idée d’utiliser le cheveu est apparue lorsque je passais mon diplôme, j’étais alors en pleine réflexion autour de la fibre la plus intime pour un individu, une fibre qui possèderait en même temps une matière riche et une constitution singulière. Le cheveu s’est alors révélé être le matériau élu, le plus en accord avec mes intentions et, de surcroit, il se trouve être très intelligent à travailler. Il me permet d’exprimer mon savoir-faire textile acquis aux Arts Déco de manière libre et hybride.
Libre et hybride, je suppose donc que tu ne tisses pas uniquement sur un métier à tisser manueL…
Exactement, j’use donc de métiers à tisser manuels, mais aussi de métiers à tisser Jacquard manuels, deux choses très différentes. Je fais également du tricot. J’utilise une machine à tricoter où deux fils de nylon se conjuguent. Il ne faut pas imaginer du tricot classique, ici, au rythme de mes rangs, je passe à chaque fois mes brins de cheveux. Cela me permet de décider précisément les endroits où je tricote, ou non. Comme le tricot est une boucle, avec un seul fil qui fait tout l’échantillon, le nylon apporte de l’élasticité à la matière, ce qui me permet de jouer avec le cheveu comme je l’entends. Aussi, je créé des mailles tramées où le cheveu est donc tramé sur mon jersey nylon.
Je travaille un dernier protocole d’ennoblissement du cheveu sur la sérigraphie textile. Pour cela, je découpe puis broie des cheveux afin d’en obtenir leurs pigments. Je les mélange ensuite à différents liants de sérigraphie, ce qui me permet d’obtenir plusieurs nuances et texture sur un support textile.
Le cheveu est-il plus une matière pour la mode, pour les objets d’art, pour les arts plastiques, pour le design, ou encore pour l’architecture d’intérieur ?
J’ai initialement travaillé le cheveu comme accessoire, à recevoir ou offrir, ou comme un bel objet d’ornement, à porter sur soi à un instant T de sa vie. Mais surtout, comme objet à transmettre entre générations. Pour moi, ces accessoires n’ont pas d’obsolescence par leur côté unique, ils possèdent une ADN véritable, celle d’un proche le plus souvent. Je vois mes créations en cheveux comme des objets corporels proches du mémorial. Puis, en avançant dans mes recherches, j’ai commencé à être sollicité par des maisons de couture pour des projets axés autour de l’accessoire et de la maroquinerie. J’ai également pu m’amuser avec des hairstylist à créer des coiffes pour accompagner des chevelures lors de shooting mode.
L’obtention du Prix 2017 de la Jeune Création Métiers d’Art, avec deux autres lauréats, m’a ouvert un panel d’expositions comme le Salon Révélations, la biennale internationale des métiers d’art contemporains au Grand Palais ou encore le Salon Maison&Objet. Le dernier m’a semblé très pertinent pour mon travail, pour projeter mes matières vers les univers de la décoration, du design et de l’architecture d’intérieur.
Tes créations laissent aisément imaginer des applications pour luminaires par exemple.
Absolument, la matière cheveu pour des luminaires est la demande la plus récurrente. Ensuite, on me propose également beaucoup de projets de paravents.
Attardons-nous sur une de tes créations, celles où deux amies ont mêlé leurs cheveux. Peux-tu nous en parler ?
Ce projet est très beau. Deux amies, une brune et une blonde, souhaitaient conjuguer leurs cheveux sur une même trame. Elles sont venues me voir avec leurs longueurs, qu’elles avaient coupées et conservées depuis un certain temps, pour que je puisse réaliser un objet qui témoigne matériellement de leur union.
D’ailleurs, comment trouves-tu la matière initiale ?
J’ai commencé par faire un appel au don consenti auprès de mes proches, puis auprès des amis d’amis. Puis, par le bouche-à-oreille, j’ai finalement commencé à recevoir des dons d’inconnus par la poste, souvent accompagnés d’une histoire, soit sur leurs vies, soit sur les épisodes de coupe. Ces dernières m’inspirent souvent le protocole de valorisation de cette chute de cheveux. Car souvent, elles sont vues comme des déchets, que certains conservent en souvenir dans une boite, sans jamais les célébrer par la forme. Moi, justement, je trouve cela passionnant de donner à ces souvenirs une nouvelle vie par de nouvelles formes.
J’imagine que certaines contraintes existent dans le choix des fibres de cheveux que tu vas utiliser.
Exactement, c’est le défi inhérent aux cheveux. Ceux de moins de trois centimètres ou avec des pointes abîmées sont réduits en poudre car il m’est impossible de travailler sur la longueur. Néanmoins, même si l’on ne possède pas de longs ou beaux cheveux, il m’est possible d’en obtenir l’essence du chromatisme initial. Donc tout cheveu, malgré les contraintes, est utilisable.
Quels sont les avantages du cheveu ?
Les cheveux procurent une très bonne isolation thermique, ce qui apporte une utilité vestimentaire très intéressante. Je trouve également très drôle le fait de déplacer le cheveu de la tête au corps. Autre particularité, cette fibre est très résistante, une chevelure peut aisément retenir un camion de trois tonnes.
Quelles sont tes influences culturelles ?
J’ai adoré l’exposition sur David Hockney au Centre Pompidou, je trouve son usage des couleurs fascinant. Les aplats et les touches colorés qui se rencontrent sur un même tableau monumental m’intéressent énormément. Son travail est hyper pointu, même au niveau des textures et des perspectives, il fait du 2D et pourtant j’ai l’impression de pouvoir entrer dans chaque toile, de pouvoir sauter à tout moment en Californie.
J’apprécie également beaucoup Pierre Soulages, son travail du noir me rappelle le cheveu asiatique très noir de jais, presque noir corbeau, les lumières sur ses toiles noires sont géniales. Le constructivisme russe dont la géométrie m’obsède me transporte également beaucoup.
La musique et la mode m’inspirent constamment et fortement. Des créateurs comme Martin Margiela ou Helmut Lang. Margiela, car j’adore son savoir-faire assez proche de l’Arte Povera, où il rend des choses pauvres en vêtements désirables, il sait comment donner une seconde vie aux matières et objets. Et surtout Alexander McQueen, la période Givenchy était sublime.
Aussi, j’adore la science-fiction, des films comme Star Wars, où les costumes sont hallucinants, des histoires comme celles de Philip K. Dick. Récemment, on m’a conseillé Des milliards de tapis de cheveux, un livre de l’auteur allemand Andreas Eschbach. C’est l’histoire de tisserands de cheveux, qui font ça toute leur vie et qui se passent le flambeau de génération en génération. Dans cet univers, ils ne connaissent pas de contraintes matérielles et monétaires, l’unique mission des tisserands est de donner, avant de mourir, un tapis de cheveux à l’empereur de leur planète.