MastArt Class – Flavien Théry
Pour l’édition 2017 du festival Scopitone, le Château des Ducs de Bretagne a accueilli Flavien Théry, lors d’une monographie en six parties lui étant consacrée. L’artiste, né à Paris en 1973, est diplômé de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. D’abord intéressé par le design, Flavien Théry affiche vite un intérêt certain pour les arts optique et cinétique. Depuis une quinzaine d’années, il vit et travaille à Rennes où il s’applique à créer des œuvres radicales par le biais des nouveaux médias, et surtout par la lumière. Ces sources sont pour lui génératrices de questionnements sur les relations entre art et science, ainsi que sur la perception du réel.
Flavien Théry est représenté par la Galerie Charlot, fondée en 2010 à Paris par Valérie Hasson-Benillouche. La galerie articule ses différentes propositions autour d’artistes comme Anne-Sarah Le Meur, Antoine Schmitt, ou encore le duo Laurent Mignonneau & Christa Sommerer, tous amateurs de supports numériques et questionnant le monde par les technologies.
FLAVIEN THÉRY – « Inverted Relief (The Candor Chasma’s Flying Carpet) » + « Dual » + « Vision Cones » + « Le Blanc N’Existe Pas » + « Les Contraires » + « Spectre »
Inverted Relief (The Candor Chasma’s Flying Carpet) – 2017
« Dans cet espace du Château des Ducs de Bretagne, je propose cinq pièces fonctionnant ensemble autour de questions similaires. À savoir la lumière et la perception. Et, au centre de ces œuvres qui se répondent entre-elles, j’ai ajouté un projet plus récent, en lien avec la thématique de la Biennale Némo 2017. Inverted Relief (The Candor Chasma’s Flying Carpet) approche l’idée de sérendipité et raconte une rencontre avec une image satellitaire de la planète Mars, issue de la banque de données de la NASA. Il faut savoir que la politique de l’agence spatiale est de considérer qu’elle produit un bien public, ainsi les images qu’elle relève sont utilisables par tous et pour tout usage. Je me suis donc autorisé à exploiter la capture satellite d’une zone de Valles Marineris, un grand canyon de plusieurs milliers de kilomètres. Cela m’amusait d’utiliser ce genre d’image, réelle et actuelle, mais appartenant presque au domaine de la science-fiction, du futur, sur un support dit « vieillot » comme le tapis. Celui-ci est fait en point d’Aubusson, un célèbre tissage qui s’apparente au pixel et s’adapte idéalement à mon image 3D.
Néanmoins, je précise que le tissage de ce tapis a été fait à la machine dans un atelier à Aubusson qui a fait le choix d’intégrer des techniques industrielles à la tradition. La création de tapis est ainsi bien plus abordable pour les artistes ou les designers. Avec l’industrialisation, les coûts sont considérablement réduits. Par exemple, mon tapis a mis six heures pour être tissé à la machine, alors que le ratio pour ce même tapis en tissage d’Aubusson à la main serait d’une année. Nous pouvons donc aisément imaginer la différence de prix. De plus, dans le cadre de mon projet, cela n’aurait eu aucun sens de faire réaliser le tapis à la main. Au contraire, la manufacture aurait été source de diverses complications tant l’image de la NASA propose des formes enchevêtrées et précises. Il fallait donc naturellement confier la tâche à une machine. Je trouve cela particulièrement intéressant d’adapter un artisanat à la machine industrielle pour faciliter la création car, selon moi, à force de défendre le « fait main » les artisans finissent par avoir l’État comme unique client. Soit pour des restaurations et soit pour des commandes spéciales. À ce stade, l’artisanat n’est donc plus vivant car il n’est plus proposé au public. Je trouve cela important qu’un artisanat puisse être revigoré grâce à un outil technologique.
Pour en revenir à l’observation de Inverted Relief et son image 3D, il faut s’approprier l’œuvre en stéréo, à l’aide de lunettes rouge et cyan. J’ai fait le choix de retourner l’image inversant alors les reliefs du canyon. Ainsi, chaussé de lunettes, le spectateur se promène dans un espace réel mais modifié dans un paysage 3D venu de Mars. De plus, le tapis est un support pertinent, il ne souffre d’aucun sens de lecture prédéterminé pouvant perturber le spectateur. Cependant, il existe un sens d’observation privilégié pour profiter de l’expérience, celui de la longueur du tapis.»
Les cinq autres pièces de Flavien Théry sont liées à ses recherches autour de la lumière comme vecteur de ce qui apparaît être l’évidence par le biais de la vue. Ces différentes œuvres jouent sur la perception et se nourrissent d’avantage d’un univers scientifique que de sciences pures. L’artiste assume approcher la physique quantique de manière abstraite, voire absurde, dans ces travaux.
Dual – 2015
Plexiglas | PVC | MDF | Miroir | Écrans LCD modifiés | Ordinateur & application dédiée
(77,5 x 55,5 x 47,5 cm)
« Avec Dual, je voulais créer un objet paradoxal. On voit une membrane a deux faces aux teintes complémentaires mouvoir dans un espace précis, une boite. Rapidement, le spectateur comprend que l’objet relève de l’illusion alors qu’il le perçoit réellement, emprisonné dans la boite. L’œuvre donne suffisamment d’informations pour que nos habitudes perceptives puissent lire une forme qui se décolle d’une paroi, puis traverse son espace pour venir se fondre dans la paroi d’en face.
Cette illusion résulte de transformations que j’ai faite sur des équipements standards, à savoir des téléviseurs. Je les détourne de manière à ce qu’ils aient des interactions par l’optique. Dans Dual, il y a une double diffusion d’information faite sur deux plans. Un premier afficheur transparent horizontal qui forme le fond de la boite, et un second pour l’avant de la boite. D’ailleurs, tous les afficheurs sont transparents une fois démantelés. Le spectateur perçoit donc l’addition optique de deux affichages qui crée alors un objet obéissant aux lois de la perspective. Il est témoin d’une profondeur formée par les informations diffusées sur deux supports plats. La réflexion de Dual tourne donc autour des vérités. »
Vision Cones – 2016
Plexiglas, bois, 2 écrans LCD 42“ modifiés, ordinateur
(102,5 x 61,5 x 30,5 cm)
« Le titre de la pièce renvoie à l’idée du cône de vision, à la perspective conique et aux habitudes de construction mentale de l’espace. Comme pour Dual, les informations sont données par des supports plats qui laissent suffisamment d’indices pour que le cerveau construise un volume qui reste cohérent en fonction des déplacements du spectateur autour de l’œuvre. Le sommet du cône reste constamment là où les lois de la perspective lui ordonneraient d’être, s’il était réel. Néanmoins, ces deux cônes par leurs mouvements et croisements vont dénoncer l’artifice et supprimer toute une sensation de volume, qui revient instantanément après la rencontre. C’est la logique même de la pièce qui montre, en boucle, comment une perception peut se construire et finalement ne reposer sur rien. »
Les contraires (n°2) – 2016
Inox brossé / poli-miroir | aluminium | MDF ciré | écran LCD modifié | électronique
(20 x 16 x 18,5 cm)
« Sur cette pièce, on retrouve le système de détournement d’écrans à cristaux liquides déjà présenté sur Dual et Vision Cones. Cependant, ici les écrans sont démantelés de façon à produire une information dont on ignore la forme. Le spectateur, en se déplaçant autour de l’œuvre, détecte une démarcation entre une source de lumière et un miroir en fond. Cette arrête formée vient délimiter un basculement entre des valeurs de couleurs et leurs complémentaires. Ainsi, l’information diffusée n’a pas de forme fixe et dépend de l’endroit où se situe le spectateur dans l’espace pour l’observer. Encore une fois, on retrouve dans Les contraires le détournement des perceptions. »
Spectre – 2013
Aluminium, PVC, Écran LCD modifié, Carte mémoire
(102,5 x 62 x 21,5 cm)
« Spectre est aussi le fruit de la déconstruction d’un écran LCD acheté en supermarché. La technologie nécessaire à ces objets fut découverte au début du XIXème siècle et découle de l’observation des reflets du soleil à travers des cristaux de Spath d’Islande, l’équivalent d’un polariseur. Aujourd’hui, les téléviseurs usent de polymères spécifiquement développés pour orienter la lumière de manière précise et pourtant ils peuvent toujours être prosaïquement remplacés par une réflexion sur une matière brillante brute. Pour Spectre j’ai donc supplanté une chose technique par une chose archaïque. Ainsi, j’ai créé un univers parallèle au nôtre dans lequel se déploient des possibilités multiples pourtant déjà présentes dans la matrice blanche.
Pour cette œuvre, le photographe japonais Hiroshi Sugimoto, avec ses séries Theaters faites à la fin des années 1970, m’a beaucoup inspiré. Pour ses réalisations, il se rendait dans des cinémas et posait en haut d’une salle une chambre dont il ouvrait l’obturateur au début de la séance et le refermait à la fin. Il obtenait ainsi une salle vide éclairée par un écran blanc immaculé. Les personnes en mouvement annulaient leurs propres traces. J’aime cette idée de l’image unique qui totalise la somme de plusieurs heures. »
Le Blanc n’existe pas – 2014
PVC | Plexiglas | Aluminium | Leds RVB | Moteur | Arduino | Détecteur IR
(80 x 80 x 20 cm)
« En s’approchant de Le Blanc n’existe pas le spectateur déclenche un spectre coloré qui correspond au spectre de la lumière blanche. La pièce démontre que ni le blanc, ni les couleurs, n’ont d’existence physique. Les seules composantes qui produisent la lumière blanche et qui ont une réalité physique sont des éclairs, extrêmement véloces, rouges, verts et bleus. L’idée de Le Blanc n’existe pas m’est venue en observant les défauts de certains projecteurs vidéos qui ont une technologie nommée DLP.
Cette dernière fonctionne à l’aide d’un système de roue chromatique dans laquelle les trois composantes de la lumière ne sont jamais diffusées en même temps mais successivement. Rouge, vert et bleu en différé. Lorsque l’on observe ces projections puis que nos yeux se déplacent sur des zones brillantes dans l’image, une trainée se forme et est perçue par la rétine. Ce phénomère qui m’a inspiré l’œuvre s’appelle « Rainbow Effect » (effet arc-en-ciel, ndlr). »