David Lavaysse, un Fresh French artiste
David Lavaysse est un artiste singulier qui gomme les frontières entre art et productions musicales. Speedé, il enchaine les projets en tant que musicien multi supports accompli, et est aussi membre du groupe désinvolte et nerveux The Shoppings. Également professeur d’ingénierie graphique à la fac, il s’aventure depuis quelques années sur des territoires plus plastiques en ajoutant de la valeur aux supports musicaux. Rencontre avec David Lavaysse :
Avant de parler de ton univers plus personnel, j’aimerais que l’on évoque The Shoppings, le groupe que tu formes avec Pascal Monfort. Nous fêtons cette année les dix ans du premier album et logiquement le second ne devrait pas tarder. Quelles sont les nouvelles ?
Le second album est terminé et « masterisé » depuis septembre 2016, le pressage des disques et vinyles est payé. En ce moment, nous travaillons sur la pochette, pour le sortir prochainement. Il est vrai que le temps a filé depuis le premier opus. Avec The Shoppings nous avons eu la chance de faire beaucoup de concerts, dont certains très improbables, ainsi que deux tournées en Afrique. L’expérience fut dingue, nous ne voulions pas la stopper, le problème a été le temps. De mon côté, je suis très occupé et Pascal, je n’en parle même pas, lui c’est le niveau ultra accaparé. Nous devions nous canaliser pour créer à nouveau ensemble.
Le prochain album a été écrit sur plusieurs années, sans contrainte. Avec Pascal, nous avons pour habitude de nous retrouver pour enregistrer un ou deux morceaux l’été, lorsqu’il descend à Montpellier. À force, nous avons cumulé une vingtaine de titres prêts à être mixés. Habituellement, je m’occupe de tout l’aspect production, le côté studio, mixage, etc. Cette fois, nous avons passé la main à Andrew Claristidge, membre du duo Acid Washed, qui a achevé la production et le mixage à Berlin. Un premier concert a eu lieu au Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean, au Luxembourg, en novembre dernier. Une date initiale qui nous a permis de préparer les futurs et nouveaux live avec Pascal et Andrew.
Avec l’arrivée de Andrew Claristidge dans The Shoppings la ligne reste-t-elle la même ou des sons plus acides font-ils leur apparition ?
Carrément plus d’acid, oui ! Au niveau de la création musicale, j’ai composé et me suis occupé de toutes les prises de sons. Après, j’ai envoyé les pistes séparées à Andrew avec une carte blanche totale. Il pouvait amener ses boîtes à rythmes, faire ou refaire des beat, changer ou incorporer des synthés. Avec sa manière de mixer les beat, on entend la patte Andrew Claristidge dans le son de The Shoppings désormais. C’est exactement ce que nous voulions avec Pascal. Effacer un peu le côté punk rock dirty pour un aspect plus électro.
Tu parles de ligne The Shoppings, pour ce qui est de l’univers Pascal te parlerait bien mieux des textes que moi. Les thèmes se retrouvent entre eux, entre 2007 et 2017, mais avec une évolution. Sur le premier album nous étions plus teenagers, aujourd’hui les personnages ont pris de l’âge, peut-être un peu de ventre, les références sont autres. En 2007 nous parlions de MySpace, en 2017 plus trop, maintenant c’est Instagram.
Ta carrière ne se restreint pas à The Shoppings, cependant avant de développer tes divers projets j’aimerais que l’on parle des supports que tu utilises. Disques et vinyles bien sûr, mais aussi cassettes, clés USB, carte micro SD. Pourquoi cette diversité ?
Ça fait près de vingt ans que je fais de la musique en solo, d’abord sur de petits labels, où les formats étaient classiques, vinyles et CD. Après The Shoppings, en 2011, je désirais revenir à quelque chose de plus authentique, fait à la main. Mes premiers albums, à la fin des années 1990, je les éditais en quatre pistes sur cassette. Un jour, je suis retombé par hasard sur ce petit enregistreur qui était chez ma mère.
Très vite, j’ai retrouvé le plaisir spontané de faire des choses à la main. Cet enregistreur est arrivé au moment où je commençais à en avoir marre de passer du temps à tout paramétrer au millième de seconde près, sur cent cinquante pistes. C’est avec cet appareil que j’ai multiplié les supports. Par exemple, je me suis mis à faire des cassettes en éditions très limitées. Je m’applique à faire les pochettes à la main, j’ai poussé la chose jusqu’à faire mon propre papier. Aujourd’hui, on voit un retour de ce support cassette, les labels se remettent à en produire alors que la musique est presque totalement dématérialisée. Le CD est quasi mort, le vinyle est super cool, bien qu’un peu cher. Ironiquement, la majorité des vinyles achetés ne sont pas écoutés, ils servent un peu d’ornement. Moi, je trouve juste marrant et épanouissant de chercher à bosser sur divers formats.
Mes cassettes, je tente d’en faire de bels objets. Le boitier de Réconfort infini est en merisier pyrogravé, limité à dix exemplaires. Histoire d’un document retrouvé, ce sont deux cassettes accompagnées d’un boitier fait main, sur mesure, en ardoise, et d’un livret. Pour Pelissols, l’édition fut limitée à cinq cassettes, avec des pochettes d’abord infusées dans du vin rouge nature, puis passées au four.
Après avoir exploré et m’être amusé avec les cassettes, j’ai cherché de nouveaux supports. La carte SD m’a semblé assez sympa comme format. Au-delà du cool, il y a aussi le constat qu’aujourd’hui peu d’ordinateurs ont encore un lecteur CD, alors que tous ont des lecteurs de cartes SD. J’ai commencé à travailler sur ce médium avec Pelissols, en partenariat avec le domaine viticole éponyme. L’idée était d’incorporer la musique dans la bouteille, rapidement nous avons conclut que la micro SD pouvait se dissimuler entre le bouchon et l’opercule. Prochainement, Nous allons à nouveau collaborer ensemble, sur un magnum de vin blanc cette fois-ci.
Comment est née la collaboration avec le domaine viticole Pelissols ?
Le gars qui tient le domaine, Vincent Bonnal, je l’ai rencontré en première année de maternelle. La vie nous a fait nous perdre de vue, il a pas mal voyagé avant de se réinstaller et de reprendre le domaine familial. Il a tout transformé pour produire un vin naturel super bon. Après son retour, nous avons fini par nous croiser lors d’une soirée, puis rapidement, nous avons convenu que ça serait génial de collaborer ensemble. À partir de là, nous avons fait des prises de sons dans les cuves du domaine, afin d’avoir les réverbérations et la parfaite acoustique du lieu. Nous avons enregistré et la suite, tu la connais, bouteilles, SD, etc.
Tu as également travaillé à plusieurs reprises avec le metteur en scène Jacques Allaire. Peux-tu nous parler de ces collaborations ?
Avec Jacques Allaire, c’était super. Je l’ai rencontré dans le cadre d’une résidence pour le Festival Hybrides, à Montpellier. Nous avons vite bien accroché et quelques semaines après il a fait appel à moi pour composer la musique de deux de ses projets, La République de Platon et Le dernier contingent. Pour le dernier, j’ai même participé à la tournée, une trentaine de dates sur des scènes nationales, où je jouais en live sur le plateau.
En dehors du théâtre, nous avons travaillé sur Mon crédit, pour lequel Jacques lit intégralement un contrat de crédit bancaire. Le challenge était de mettre en musique un texte insupportable sans avoir envie de balancer sa platine avant la fin des dix-sept, dix-huit minutes. Pour rendre le tout abordable et séduisant, il fallait diviser par plusieurs phases de lecture courtes, avec des parties électro bien prenantes. Maintenant, il est possible d’écouter le disque sans faire attention au texte chiant. Mais Jacques Allaire a aussi une sublime voix et une diction claire qui jouent fortement sur le résultat. Ma référence pour ce projet est Et… Basta de Léo Ferré, une longue digression que j’adore.
Plus récemment, tu as collaboré avec la chorégraphe coréenne Young-ho Nam pour sa pièce La ville en grâce. Comment abordes-tu tes projets en fonction des différentes disciplines et des variations de publics ?
Je m’ennuie assez vite, j’aime bien me mettre en danger en multipliant les expériences. Être confronté à de nouvelles demandes, à des approches neuves, c’est aussi très bon pour la créativité. Quand tu produis un album pour toi-même, ou bien dans un groupe, c’est très différent du travail que je peux fournir pour une pièce de théâtre ou un spectacle de danse. Dans ces derniers cas, je me mets à la disposition du metteur en scène ou du chorégraphe.
L’expérience avec Young-ho Nam autour d’une pièce chorégraphique était une première pour moi, et tout s’est bien déroulé. Elle fut aussi intéressante que plaisante et j’ai même pu sortir le résultat en CD. Pour cette édition limitée à cent exemplaires, faits à la main, j’ai utilisé un papier coréen particulier (un papier Hanji, fait à partir d’une pâte de mûrier cultivé en Corée, ndlr). Le même que celui utilisé par la costumière (Kim Gyeong-in, ndlr) pour créer les costumes des danseuses.
Qu’est ce qui t’inspire en musique, d’ordre général ?
Je suis un gros fan de musique, je passe beaucoup de temps, tous les jours, à écouter un maximum de choses. Les deux premières heures de ma journée sont consacrées à l’écoute des nouveautés. Je regarde également plusieurs blogs, professionnels ou particuliers, de magasins ou de labels, pour m’informer. Après, dans toutes ces actualités musicales, il y a de nombreux morceaux que je n’écouterais pas deux fois.
Pour les grosses références, quand j’étais jeune j’écoutais quantité de métal, puis au fil du temps je suis devenu de plus en plus vener. Mon truc maintenant c’est le Grindcore, surtout le groupe Napalm Death. En jazz, j’ai toute la discographie de Ornette Coleman. Pour une référence française, même si elle est classique, Léo Ferré, essentiellement ses productions du début des années 1970 comme Et… Basta, Amour Anarchie ou La Solitude. En ce moment, je suis plus fixé sur l’électro, le label indé Ghostly International me plait bien, de même pour le groupe Second Woman, les productions de Matthew Dear ou de Clap! Clap!.
Et culturellement, où puises-tu tes inspirations ?
Je lis fréquemment mais de moins en moins de fiction. En références récentes, il y a les livres du Comité invisible, les études sociologiques du canadien Alain Deneault. De ce dernier, La Médiocratie m’a bien plu. Sinon, je lis un peu de poésie, juste en amateur.
En art, je tache de visiter le plus d’expositions possible. Puis, je suis également prof d’ingénierie graphique (à l’Institut des Technosciences de l’Information et de la Communication, Université Paul Valéry – Montpellier III, ndlr) je m’intéresse donc à fond à l’actualité des arts graphiques et aux modes de création. Je ne veux pas m’avancer à donner une référence dans ces domaines car j’aime trop de monde.
Pour se procurer les oeuvres musicales de David Lavaysse c’est ici !
Alexandre Fisselier