Vin’s, rappeur, pirate gentilhomme et moderne

À l’occasion de la sortie de son EP 23h59, Vin’s, rappeur montpelliérain de 25 ans et mémorialiste rythmé des digital natives, a rencontré la rédaction de adscite. Fin 2017, en s’exprimant adroitement sur l’affaire #metoo, Vin’s connu un certain affolement médiatique autour de lui, et certains médias ne tardèrent pas à qualifier l’artiste de rappeur féministe, le cloisonnant à un unique domaine d’expertise. Pourtant, Vin’s se fiche des étiquettes et propose des chroniques véhémentes en usant des moyens de son époque pour s’adresser à son audience.

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Vin’s, quelles sont tes influences musicales ?

Mano Solo est un artiste qui me touche et m’influence réellement. Son côté écorché vif, presque morbide m’intéresse profondément. Vers onze/douze ans, avant d’écouter du rap, je me suis un peu penché sur Marilyn Manson. Je cherchais à comprendre le délire derrière cette musique puissante. Mes parents sont aussi une importante source d’influence. Ils écoutaient beaucoup de Jean-Jacques Goldman, je suis donc assez sensible à sa musique et ses textes.

Quelles sont tes influences culturelles ?

La première chose qui marque ma musique, c’est le fait d’avoir beaucoup déménagé plus jeune. Cela peut ne pas paraître culturel mais, pour moi, ça l’est. En me déplaçant, je changeais mes personnalités, je rencontrais de nouvelles personnes, je me constituais un entourage neuf. Je me bâtissais une image de moi avec certaines personnes, puis encore une nouvelle avec d’autres. Ces processus, non calculés étant plus jeune, m’ont permis de mieux me comprendre avec le temps, et de cerner le monde qui m’entoure plus aisément. Toujours jeune, j’étais très inspiré par l’univers japonais. Quand j’étais enfant, je souhaitais devenir dessinateur de mangas, comme beaucoup… Je pense avoir été grandement influencé par Dragon Ball ou encore par Yu-Gi-Oh!.

Sinon, le cinéma d’horreur, je kiffe ça. L’esprit de ces films, la façon dont un réalisateur amène le frisson, et tord une réalité normée pour faire avancer le récit, je trouve cela passionnant. D’ailleurs, ce détournement du réel est pour moi une véritable passion, au-delà du cinéma d’horreur, je suis aussi un grand fan de magie. Je la pratique également. Le fait d’être magicien m’a permis de comprendre de nombreuses choses de la vie.

Pour donner quelques références de films d’horreur, je ne vais pas tout citer, mais juste parler de mes derniers coups de cœur. Ainsi, il y a Split de M. Night Shyamalan, avec James McAvoy, qui est extrêmement bien dosé. Le film arrive à être gênant comme drôle, tordu comme évident, légèrement flippant comme très angoissant. Une réussite qui traite des personnalités multiples avec efficacité. Par le même réalisateur, il y a également The Visit que j’apprécie beaucoup. Je le trouve subtile et réaliste. Les personnages ne s’inquiètent pas trop tôt pour rien, ils n’enchainent pas les conneries clichés, n’ouvrent pas les mauvaises portes, ils sont malins.

Tu parlais de déplacements, de déménagements, peux-tu revenir sur ces périodes de ta vie ?

La première fois que j’ai déménagé j’avais sept mois, donc je ne m’en rappelle pas. Puis, après huit années passées à Marseille, j’ai suivi ma famille à Lyon pour quatre ans. Et à douze ans, je suis allé vivre à Montpellier. Lorsque j’ai quitté Marseille, j’étais heureux dans le sens où j’étais encore jeune, mes liens avec les autres enfants étaient légers, sans grandes constructions. La curiosité m’aidait aussi, je souhaitais découvrir de nouvelles personnes. Ainsi, une fois à Lyon, j’ai entamé des relations plus fortes avec des potes. À douze ans, tu n’es plus le même qu’à huit ans, moi ça me faisait vraiment chier de quitter Lyon pour Montpellier, de laisser derrière moi mes amis. Ces arrachements m’ont forgé.

Tu cites le japon comme influence culturelle, et les mangas, pourtant tu évites dans tes textes le cliché du rappeur invoquant Son Goku ou Vegeta. Toi tu engages Nemo ou Rambo…

J’évite de m’inscrire dans une veine redondante. Qu’on se le dise, c’était marrant au début les références aux mangas dans le rap, mais le faire pour le faire : non ! Entre tous ces rappeurs qui évoquent tels ou tels personnages célèbres, combien ont pris réellement la peine de s’intéresser à la culture japonaise, à la culture du manga ? Sans me lancer de fleurs, moi j’étais un véritable fan, je n’attendais pas simplement la diffusion télé… J’avais les quarante-deux mangas, le dictionnaire Dragon Ball, les figurines Dragon Ball Z… J’étais réellement accroché à cet univers, j’apprenais à dessiner avec des livres japonais, je retenais des petites phrases pratiques, toujours en japonais… Puis, j’ai radicalement décroché avec le rap. Mais avant ce désengagement, mes parents pétaient les plombs, je ne vivais que pour ça, pour devenir dessinateur de manga.

Tu te débrouilles en dessin ?

Malheureusement, entre les rêves et la réalité tout n’est pas parfait. Je n’utilise surement pas les bonnes zones de mon cerveau et de ce fait j’ai de sévères problèmes de repérage dans l’espace. Mes perspectives, mes profondeurs, sont nulles. Du coup, je rappe…

Quelle est ton approche de la musique pour tes morceaux ?

Déjà, je ne compose pas, mais je mixe. Ayant une formation d’ingénieur du son, je sais très bien calibrer un morceau, mettre les bons effets aux bons endroits, ce qui est un sérieux avantage. Après, je n’ai pas de méthode de création fixe ; disons que j’ai des schémas. En général, j’aime partir d’une version instrumentale, elle vient dicter le ton sur le thème et l’émotion. Néanmoins, pour un morceau comme #METOO j’ai d’abord trouvé le texte avant la musique.

Ton album débute par cette phrase : « À la base je voulais rapper, nan pas rentrer dans ce biz ». Pourquoi attaquer par celle-ci ?

Elle reflète simplement la réalité. À la base, je voulais uniquement rapper, je ne me posais pas cinq-mille questions sur cet univers où nous sommes confrontés à de nombreuses désillusions. J’ai découvert l’envers du décors, j’ai du l’accepter. Initialement, je voulais faire les choses naïvement, peut-être moins professionnellement. Mais cette réalité pro a aussi ses bons côtés. Être chez Capitol m’apporte davantage de moyens, je peux fournir des clips plus qualitatifs comme celui de Peur.

Tu ne souhaites pas être étiqueté rappeur politique, pourtant tu es plutôt politisé. Vin’s, serais-tu simplement chroniqueur d’une époque ?

C’est le concept du projet. Mon EP s’appelle 23h59, c’est totalement temporel, il traite d’une époque précise. Mais 23h59 c’est aussi la fin d’une journée, le début d’autre chose. Ainsi, mon EP parle d’un certain passé qui nous est contemporain mais qui rêve de meilleurs lendemains. Un morceau comme Oh Marianne, qui parle en partie des élections de 2017, traite d’un sujet vieux de près d’un an par exemple. Grossièrement, je ne souhaite pas être catalogué rappeur politisé. On me dit également rappeur féministe, j’accepte les étiquettes mais qu’elles ne soient pas mes seules références. Je n’ambitionne absolument pas d’être Vin’s le rappeur « produit ». J’ai des valeurs, voilà tout.

« Envie de vomir devant le 20 heures » dans S.L.T. « Tu veux maigrir matte les infos ça va te couper l’appétit » dans Oh Marianne. Alors Vin’s, quelques problèmes avec les JT ?

Ces phrases sont dans la même ligne que ma punchline : « La fin du monde pas besoin d’être maya pour la prédire ». Quant tu regardes les infos tu comprends que tu ne vis pas dans un monde super. Mais as-tu vraiment besoin d’allumer ta télé pour saisir cela ? J’ai beaucoup de mal avec BFMTV. Cependant, je peux dire dans un morceau : « Emprisonné dans une cellule azerty / Ils aimeraient tant qu’on prenne le chemin de la sortie / Matte BFM et t’auras la cervelle assortie » et placer un extrait de cette même chaine dans #METOO. Néanmoins, pour assortir cet extrait d’une caution plus sérieuse, j’ai additionné à #METOO un second pont audio. Ce dernier a été écrit spécialement pour le morceau par Benjamine Weill, une formidable philosophe que j’ai la chance de connaître personnellement.

Ton morceau S.L.T se termine par la par la phrase « Sous la pression ton masque tombe, comme Dechavanne chez Ardisson ». Ce dernier, Thierry Ardisson, dont l’émission s’appelle S.L.T n’est pas un gros fan de rap. Toi, j’en déduis que tu n’es pas un gros fan de télé.

C’est certain que je ne passe pas mes journées devant l’écran. Mais soyons réalistes, elle est présente dans quasiment tous les foyers. Pour moi, c’est une arme d’hypnose, une arme de retournement psychologique, une arme en apparence inoffensive mais extrêmement dangereuse. Maintenant, dire « je n’aime pas la télé » serait hypocrite et stupide. Ne pas regarder la télé, ça serait m’avouer vaincu et surtout ça me détacherait d’une partie de mon pays. Un exemple con : j’ai déjà perdu du temps devant la télé-réalité. Ça m’intéresse de comprendre plusieurs choses : Qui regarde ça ? Pourquoi ? Que retrouve-t-il de satisfaisant dedans ? Pour résumer, je ne veux pas fermer mon esprit aux autres. Alors, je préfère regarder NRJ12 et toutes les autres conneries de merde mais comprendre plutôt que de juger.

Aussi, je trouve qu’aujourd’hui, ironiquement, internet nous cloisonne. Nous cherchons précisément ce que nous voulons trouver. Internet laisse peu de place à la digression, à la découverte. La télé, elle, laisse moins de choix. Quand tu regardes une émission, tu ne connais pas nécessairement tous les invités, parfois tu t’énerveras sur untel ou apprécieras untel, que tu ne connaissais pas cinq minutes plus tôt.

Vin’s, ton titre Disquette est bien plus court que les autres, peux-tu nous en parler ?

23h59, c’est ma carte de visite, je déballe plusieurs choses avec des approches différentes. On pourrait presque voir cet EP comme un exercice de style. Pour Disquette, plus particulièrement, je voulais rester sur ma faim en le faisant, et procurer ce même sentiment aux auditeurs. De plus, Disquette fait partie d’un triptyque de clips, dont il est le premier, avec Hors Ligne et S.L.T, et je voulais que les gens buttent sur une chute sèche avant de poursuivre avec les deux autres titres. Je voulais donner le sentiment de bouffer une entrée qui fait saliver sans rassasier.

On retrouve plusieurs fois des références « pirate » dans 23h59. Pourquoi ?

Mon pirate ne vole pas les richesses des autres. Le mien est sur son bateau, avec son équipage, pour partir à la conquête ,sans port d’attache. Avec les potes, nous formons une véritable équipe, dans la galère, nous mettons tous les mains dans la merde pour faire voguer le rafiot et aller là où nous voulons. Mon pirate ouvre les horizons. J’aime aussi l’esprit piraterie où on s’en fout de ce que les autres pensent de nous. Nous sommes pirates sur un rafiot, et non sur un yacht à boire des coupes. On n’est  pas La croisière s’amuse, on est chaleureux mais on s’en fout de vos mondanités.

C’est marrant ce que tu racontes sur les pirates… Au début, je ne voulais pas parler de ton nom, Vin’s, une référence à Vincent Cassel dans La Haine de Mathieu Kassovitz, mais là je vois dans ta description du pirate la scène du vernissage.

Exactement ! D’ailleurs dans S.L.T je dis : « J’arrive comme Vin’s j’viens foutre la merde dans ta hype ». Comme Vin’s je viens foutre la merde dans ton endroit huppé. À l’abordage du yacht ! Dans le monde de la musique, les rappeurs sont un peu vu comme les bouffons de service, alors incarnons notre rôle jusqu’au bout. C’est un peu revanchard, « tu me prends pour ça ? Ok, allons-y, tu ne seras pas déçu… »

Les rappeurs sont-ils toujours les bouffons de la télé ?

J’ai été très surpris de Vald chez Ardisson. Mais l’autre exemple qui me vient c’est Damso chez Quotidien. Encore une fois à la télé, je trouve que Yann Barthès a usé du cliché, mais Damso a très bien su s’en sortir. Lorsqu’il s’est mis à parler de sa musique en arguant des complexes psychologiques comme celui d‘Œdipe, et bien Yann était plutôt décontenancé de voir face à lui un Damso sachant super bien défendre sa musique.

À la fin de l’album, j’ai eu le sentiment d’être face à un solitaire désabusé. Qu’en penses-tu ?

Je dis souvent que malgré le fait que nous soyons entourés, nous sommes seuls. Je parle du monde d’une manière désenchantée, sans jouer le candidat au suicide. Parfois, je suis dégouté de notre monde mais j’y vis et j’avance. Néanmoins, on retrouve aussi de l’espoir. La dernier phrase de 23h59 c’est « tes cauchemars ont fini par hanter mes rêves », elle prouve que j’ai quand même des rêves, mais qu’il faut lutter pour les réaliser.