Quand l’art vient secourir les réfugiés

Guendalina Salini, "Dove comincia il lontano"

La crise migratoire en Europe a déclenché des actions politiques en tout genre, positives et négatives. Les artistes se sont eux aussi engagés à des degrés divers, le plasticien Ai Wei Wei a fait retirer ses œuvres du Danemark après l’adoption, le 26 janvier 2015, par le parlement danois, d’une loi permettant de saisir les biens des réfugiés au delà d’une valeur de 1300 euros. À Rome, Giorgio de Finis métamorphose un squat en œuvre vivante et l’artiste provocateur Banksy entreprend diverses actions à Calais et contre la politique Française face au réfugiés. Des entreprises variées qui sans distinction de force créative touchent toujours l’opinion public.

Metropoliz, Rome
Metropoliz, Rome
Metropoliz, un squat devenu musée vivant

À Rome, Via Prenestina 913, c’est un combat pour l’humain que, l’anthropologue, auteur et documentariste, Giorgio de Finis entreprend. Spécialiste de la vie urbaine, il tombe un jour sur une ancienne usine de salamis dans la banlieue Est romaine. Laissée à l’abandon pendant près d’une vingtaine d’années, l’endroit vide, désaffecté et à la merci du délabrement a été investi par des étudiants et des immigrés. Près de deux cents personnes, d’origines variées mêlant arabes, sud-américains, africains et européens, ont bâti dans le complexe industriel une vie marginale. Tout était à faire, apporter l’énergie, relier l’eau courante, installer des cloisons.

Boîtes aux lettres, Metropoliz, Rome
Boîtes aux lettres, Metropoliz, Rome

Les habitats de fortunes devenant un peu moins précaires, la peinture s’étalant sur les murs, quelques meubles ponctuant les appartements, les familles ont pu élever leurs enfants en sécurité, amasser un petit patrimoine sentimental, et vivre presque libres. Une peur toujours présente, celle de l’expulsion. La micro cité devient Metropoliz. Giorgio de Finis y réalise le documentaire « Space Metropoliz » entre 2010 et 2013, projet inspiré par la bataille héroïque des Metropoliziens abandonnés. Il imagine que, las d’être des immigrés, des marginaux ou des hommes sans droit, les habitants stoppent la résistance et s’envolent pour la lune. Pour son projet le réalisateur s’entoure d’artistes, d’architectes, de philosophes, d’astrophysiciens, d’astronautes et d’ufologues, pour répondre avec onirisme à la crise du logement. Les efforts quotidiens des habitants et des « invités » ont permis la construction d’un projet cinématographique et artistique ahurissant, démontrant que le rêve est universel et peut changer le monde.

Guendalina Salini, "Dove comincia il lontano"
Guendalina Salini, « Dove comincia il lontano »

Depuis, Giorgio de Finis ne se relâche pas et fait évoluer le squat en musée, il tue le bidonville et fait de la résidence un lieu unique. De nombreux artistes viennent travailler gratuitement avec les occupants et, depuis septembre 2014, le samedi, le lieu s’ouvre au public et attire badauds romains et touristes. En faisant de Metropoliz le MAAM* (musée des autres et d’ailleurs), un lieu d’attrait et culturel, il bloque les autorités et pouvoirs publics, il espère sauver le lieu des évacuations et démolitions. Seul un risque demeure, celui que les propriétaires se réapproprient le lieu et son patrimoine artistique.

Metropoliz est un lieu où il y a toujours quelqu’un avec qui parler, sur qui compter. Les origines ethniques et sociales sont différentes entre les résidents, les artistes et les visiteurs, un idéal pour l’insertion et pour empêcher la jeunesse de déraper. Giorgio de Finis a fait de Metropoliz une œuvre d’art vivante qui reflète la vie de ses occupants, ses joies et ses craintes, en évolution perpétuelle.

* Museo dell’Altro e dell’Altrove di Metropoliz

Gian Maria Tosatti, "L’Hotel sur la lune"
Gian Maria Tosatti, « L’Hotel sur la lune »

Banksy et les réfugiés de Calais

Le 20 août 2015, l’artiste urbain Banksy, la star anti star-system, a annoncé officiellement l’ouverture, dès le lendemain, de son « Bemusement Park » (bemused : déconcerté, perplexe et Amusement Park : parc d’attraction) dans la petite station balnéaire du Somerset, Weston-super-Mare. Dans ce coin oublié du Royaume-Uni, l’artiste natif de la région (Bristol) est devenu l’heureux propriétaire du parc d’attractions le plus décevant de Grande-Bretagne, le Dismaland (de Dismal : lugubre et Disneyland). Une œuvre collaborative qui a offert, cinq semaines durant, une version égratignée, très peu flatteuse, de la société. Les employés du site affublés de larges oreilles de souris y affichaient, à la vue de tous, leur mal-être. Certains vendaient de gros ballons gonflés d’hélium au message pessimiste : « I AM AN IMBECILE ». D’autres encore animaient une pêche aux canards laqués de mazoute dans une eau polluée. La scénographie proposait un château féerique en ruine, et une princesse effondrée dans son carrosse fracassé et mitraillé par les paparazzis – Lady Di en Cendrillon. Une agence de financement de crédit dispensait ses services aux enfants, pour emprunter de l’argent de poche, et un bassin les a diverti avec ses bateaux douaniers et navires migrants à téléguider.

Dismaland, Weston-super-Mare
Dismaland, Weston-super-Mare

Avec Dismaland, œuvre street art XXL, Banksy a fait de son concept punk un aimant à média et a attiré l’attention internationale, avec un nouvel angle, sur des faits sociaux et politiques cruciaux. Le parc a généré d’autres impacts positifs, comme d’offrir aux locaux, peu habitués aux musées, une confrontation à l’art. Et, avec plus de 150.000 visiteurs, d’apporter 27 millions d’euros de retombées économiques à la petite ville de Weston-super-Mare.

À la fermeture des portes, l’artiste a organisé l’action Dismal Aid et recyclé des matériaux du « Bemusement Park » afin des les transporter, avec son équipe, en Normandie dans la « Jungle » de Calais. L’ensemble du dispositif a débouché sur la construction de douze logements, d’une zone communautaire et d’un parc pour enfants.

Dismaland, Weston-super-Mare
Dismaland, Weston-super-Mare

La vie chaotique des réfugiés a inspirée Banksy qui, en décembre 2015, a investi la ville avec trois œuvres traitant de l’immigration. Sur une plage faisant face à la Grande-Bretagne un pochoir fixe l’ombre d’un enfant guettant l’horizon avec une longue-vue dominée par un vautour. Dans le centre-ville, le Radeau de la Méduse est détourné en embarcation migratoire harcelée, battue par les eaux, et ignorée par les ferrys croisant au large de la manche. La dernière, plus médiatique est un collage avec Steve Jobs, représenté avec son costume col roulé noir et blue jean, un baluchon sur l’épaule gauche et un ordinateur à la main droite. L’artiste rappelle que Steve Jobs était fils de migrant, son père ayant quitté la Syrie en 1950. Il relève par ce dessin le fait qu’en refusant les réfugiés les états refusent de nouveau génies. Et bien que tous ne sont et ne seront pas « géniaux », tous sont humains.

En Janvier 2016, l’artiste a posé un collage en face de l’ambassade française à Londres. Cosette (Les Misérables de Victor Hugo) y est représentée derrière un drapeau tricolore en lambeaux, le regard emplit de larmes douloureuses causées par le gaz lacrymogènes. Une imagerie choisit par Banksy afin de dénoncer les violentes actions policières à l’encontre des réfugiés de Calais.

Banksy, Dismaland, Weston-super-Mare
Banksy, Dismaland, Weston-super-Mare

Liste des artistes ayant collaborés à Dismaland

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  • Andreas Hykade (Bavaria)
  • Amir Schiby (Israel)
  • Ammar Abd Rabbo (Syria)
  • Axel Void (USA)
  • Banksy (UK)
  • Barry Reigate (UK)
  • Ben Long (UK)
  • Bill Barminski (USA)
  • Block9 (UK)
  • Brock Davis (USA)
  • Caitlin Cherry (USA)
  • Caroline McCarthy (IRL)
  • Damien Hirst (UK)
  • Darren Cullen (UK)
  • David Shrigley (UK)
  • Dorcas Casey (UK)
  • Dietrich Wegner (USA)
  • Ed Hall (UK)
  • El Teneen (Egypt)
  • Escif (Spain)
  • Espo (USA)

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  • Fares Cachoux (Syria)
  • Foundland (Syria/South Africa)
  • Greg Haberny (USA)
  • Huda Beydoun (Saudi Arabia)
  • James Joyce (UK)
  • Jani Leinonen (Finland)
  • Jeff Gillette (USA)
  • Jenny Holzer (USA)
  • Jessica Harrison (UK)
  • Jimmy Cauty (UK)
  • Joanna Pollonais (Canada)
  • Josh Keyes (USA)
  • Julie Burchill (UK)
  • Kate MacDowell (USA)
  • Laura Lancaster (UK)
  • Lee Madgwick (UK)
  • Leigh Mulley (UK)
  • Lush (Australia)
  • Mana Neyestani (Iran)
  • Maskull Lasserre (Canada)

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  • Michael Beitz (USA)
  • Mike Ross (USA)
  • Neta Harari Navon (Israel)
  • Nettie Wakefield (UK)
  • Paco Pomet (Spain)
  • Paul Insect & BAST (UK/USA)
  • Peter Kennard & Cat Phillips (UK)
  • Polly Morgan (UK)
  • Pure Evil (UK)
  • Ronit Baranga (Israel)
  • Sami Musa (Palestine)
  • Scott Hove (USA)
  • Severija Inčirauskaitė-Kriaunevičienė (LT)
  • Shadi Alzaqzouq (Palestine)
  • Suliman Mansour (Palestine)
  • Tammam Azzam (Syria)
  • The Astronauts’ Caravan (UK)
  • Tinsel Edwards (UK)
  • Wasted Rita (Portugal)
  • Zaria Forman (USA)

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Dismaland, Weston-super-Mare

Alexandre Fisselier