Marc Hertrich & Nicolas Adnet, des univers inspirés
La rédaction de adscite a rencontré les deux architectes d’intérieur du studio MHNA dans leur sublime appartement Parisien, reflet de leur style et de leurs sensibilités. L’occasion pour Nicolas Adnet de nous parler du style MHNA, de leurs inspirations et processus de création. Opportunité pour nous annoncer la sortie du livre Des univers inspirés, retraçant les vingt-cinq années de carrière du studio MHNA, aux Éditions Fonds de France. Pour son premier ouvrage l’éditeur a fait appel à l’architecte et auteur spécialiste du design Brigitte Fitoussi pour revenir sur les travaux mais aussi les inspirations du duo Marc Hertrich et Nicolas Adnet.
Qu’avez-vous ressenti quand on vous a annoncé qu’un livre allait honorer les vingt-cinq années du studio MHNA ?
C’est une question très difficile que vous me posez là. Comment définir notre sentiment ? Instantanément, j’ai envie de dire le plaisir d’une belle surprise. Ce livre était l’occasion de s’arrêter et de regarder ce que nous avions fait pendant les vingt-cinq dernières années. C’était aussi l’occasion de poser un autre regard sur notre travail.
Comment avez-vous sélectionné les lieux présentés dans l’ouvrage ?
Principalement en échangeant avec Brigitte Fitoussi, l’auteur, autour d’une idée de construction proche du carnet de voyage. Nous ne souhaitions pas faire un livre portfolio de nos projets, et nous ne voulions pas d’une rétrospective. En partant sur l’idée du carnet de voyage, nous pouvions donner les clés du style MHNA en nous dévoilant Marc et moi, en présentant nos aspirations, nos inspirations et nos valeurs. Nous aimons les voyages, la convivialité, le partage et l’art de vivre. Et dans nos vies, nous avançons comme dans un carnet de voyage, nous collectons et collectionnons des souvenirs et sentiments sous la forme de dessins, d’aquarelles, de photographies et d’objets. Nous puisons nos idées pour nos différents projets dans ces choses-ci, dans nos sensibilités. Le livre devait montrer notre démarche créative.
Un carnet de voyage qui s’ouvre sur votre appartement parisien et se clôt sur votre maison de campagne ?
Brigitte Fitoussi nous a proposé cet encadrement, car ces deux lieux représentent la quintessence de ce que nous aimons. Notre appartement parisien est extrêmement personnel, il illustre parfaitement notre sensibilité, notre style. C’était donc naturel de commencer le livre par cet endroit très précis sur nous, puis de le terminer sur notre maison de campagne qui s’anime différemment des mêmes sentiments et mêmes passions. Nos domiciles montrent nos amours pour les arts décoratifs français, mais aussi pour ceux des pays que nous avons visités. Notre style ne connaît pas les frontières. Nous pouvons être tant touchés par une œuvre contemporaine que par un objet ethnique. Nous aimons faire des associations pour l’émotion. Par exemple, si une œuvre académique du XIXème siècle nous capte émotionnellement, nous aimons rechercher une confrontation avec une autre période, un autre style. Ce souhait de confrontation se retrouve fortement dans notre appartement.
Le fait de montrer vos lieux d’intimités expose aussi aux lecteurs les contraintes qu’une commande peut avoir. Chez vous, j’ai aimé tourner la tête et voir des touches de vanités ci et là. Une chose personnelle qui est difficile à mettre en place dans un hôtel ou un restaurant, places que vous ne pouvez pas agrémenter de crânes et papillons aussi aisément.
Effectivement, notre appartement reflète notre affection pour l’esprit des cabinets de curiosités, et de manière plus poussée celle pour les vanités. Cependant, notre appartement est très personnel et n’est pas un showroom… c’est un cocon dans lequel nous ne mettons aucune limite. Et étonnement, si nous avons fait le choix de nous spécialiser dans les hôtels, c’est parce que l’hôtellerie est un des domaines qui permet le plus de libertés dans la création. Alors oui, nous n’allons pas pouvoir mettre de crânes ou une photographie contemporaine de Erwin Olaf réinterprétant les vanités, bien que… Bien que ? Parce que l’hôtellerie est aujourd’hui un laboratoire d’idées, où les architectes d’intérieurs peuvent quasi pleinement s’exprimer.
Vous disiez aimer l’artiste James Turell, et je trouve votre aménagement de l’espace piscine du Sofitel Warsaw Victoria, en Pologne, très inspiré par ses travaux. Quels sont les autres artistes qui vous inspirent ?
James Turell est de ceux dont nous admirons profondément le travail. Son approche de la lumière est fascinante et ses créations rejoignent volontiers notre goût du rêve. L’art est très important pour nous. Dans nos projets nous intégrons de l’onirisme inspiré par l’art, tout simplement car l’onirisme est une chose dont nous avons besoin. C’est la part d’enfant qui réside en chacun qui nécessite l’éblouissement. James Turell est ses « lumières » réussissent parfaitement à éblouir.
D’autres inspirations peuvent être plus basées sur l’élégance. Gabrielle Chanel et Yves Saint Laurent sont deux personnes que nous estimons intensément. Ils ont su exprimer, créer et générer une vision de l’élégance qui est la justesse. Et en même temps, si on parle pour Saint Laurent, sans interdit. Gabrielle Chanel, nous l’adorons car elle incarne pour nous l’élégance parisienne, avec cette perception du tombé, du passepoil, ce souci du détail que l’on ne voit pas. Elle représentait l’esprit de la Haute Couture. Yves Saint Laurent, lui était un coloriste hors pair. Nous lui devons, aujourd’hui, bien au-delà de la mode, des associations de couleurs qui maintenant nous semblent évidentes mais qui, avant qu’il ne les mette en place, pouvaient sembler être des fautes de goût. Même si la robe noire restera son grand classique, et le noir sa couleur fétiche, ses associations de couleurs seront toujours sublimes. Aussi, pour Saint Laurent, c’était un fabuleux architecte du vêtement, il était capable du plus pur comme du plus fou. Ses inspirations pouvaient être Mondrian ou Van Gogh, en passant par des suggestions africaines, il ne s’interdisait rien et allait au bout des choses. C’est cette liberté de création que nous admirons principalement chez lui. Sa méthode de travail était le voyage, physique comme mental. Il voyageait dans son esprit pour s’inspirer de ses goûts, parfois la Russie, l’Afrique, plus particulièrement le Maroc, parfois pour un artiste, etc. Cette démarche nous plait beaucoup.
Pour revenir à nos inspirations artistiques, nous apprécions autant les peintures orientalistes du XIXème que la manière dont Rembrandt instrumentalisait dramatiquement ses noirs, parfois nous chinons des petits objets artisanaux et artistique pendant nos voyages, etc. Nous aimons vraiment beaucoup d’artistes.
Pour certains, l’embellissement du domicile par l’architecture d’intérieur et la décoration encourage un repli sur soi, chez soi, par la consommation. Vous, en tant que professionnel, qu’en pensez-vous ?
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, les gens sont de plus en plus sensibilisés à la décoration intérieure. Les médias ont beaucoup contribué à cette tendance, mais aussi des industriels qui ont rendu cela accessible au plus grand nombre. Je trouve personnellement que c’est une excellente chose. Autrefois, la décoration et le bien-être chez soi étaient plutôt réservés à la noblesse et à la bourgeoisie, pour les autres l’intérieur se devait juste d’être fonctionnel. Aujourd’hui, on offre la possibilité à toujours plus de personnes de pouvoir mieux vivre son intérieur en le façonnant. Je trouve cela bien mieux de pouvoir donner au plus grand nombre les moyens d’être bien chez soi. Pour prendre un exemple plus concret, de nos jours, un étudiant qui loue une chambre de bonne peut se rendre dans certaines enseignes qui lui donnent les moyens de vivre dans un lieu qui lui ressemble. Ça n’était pas le cas il y a trente ans, ou alors c’était très limité. Moi, quand je suis arrivé à Paris, j’avais justement une chambre de bonne. J’ai donc hérité du mobilier du mon ancienne chambre pour me meubler car venant d’un milieu modeste il était difficile d’imaginer habiller une chambre d’étudiant de manière personnelle. C’est indéniable, nous vivons dans une société de consommation. Les grandes enseignes suivent voir créent les modes. Mais je tourne le raisonnement d’une autre manière. Pour moi la frustration d’avant a laissé place à la liberté. Je préfère cette vision positive. Je ne vois pas en quoi c’est mal de se créer un petit cocon et de s’y sentir bien.
Vous parlez des grandes enseignes de la décoration. Sont-elles responsables d’une modification de la vision que pouvaient se faire les hôteliers et clients d’hôtels sur l’aménagement intérieur ? Cela a-t-il eu une influence sur votre manière de travailler ?
De manière globale, la sensibilisation à la décoration a eu un impact sur les hôtels. Pour caricaturer, il y a vingt-cinq ans pour ouvrir un hôtel il fallait juste penser confort du lit, douche et télévision, alors que de nos jours il est inconcevable d’ouvrir un hôtel sans âme, sans univers, sans même une simple idée d’esprit. Aujourd’hui, la décoration est une réelle attente du client, autant que le confort.
Pour nous, au studio MHNA, qui sommes spécialisés dans l’hôtellerie. Quand ces modifications sont arrivées, nous étions prêt car nous avions déjà notre style et cette volonté de créer des univers. Nous cassons un peu ces codes de la mode en décoration pour fournir des valeurs et univers sur-mesure. Même si obligatoirement, du fait que nous vivons tous dans une même société mondialisée, nous sommes perméables à certains effets de mode, nous gardons bien notre style. Notre objectif est de répondre aux désirs d’évasion des clients de l’hôtellerie, nous devons les émouvoir et les étonner. Les valeurs que nous véhiculons ne sont pas nécessairement opposées aux modes, mais pour réaliser pleinement notre travail nous nous devons de rester détachés pour continuer de tout contempler et faire du « sur-mesure » pour chacun de nos clients. Je veux aussi ajouter que nous vivons dans une époque compliquée, où il est important de rêver et un hôtel est le lieu idéal pour cela. Nous sommes des créateurs d’émotions, c’est pour cette raison que l’on fait appel au studio MHNA, pour une patte, pour de l’émotion et non ce qui est dicté par les magazines. Les modes passent, un hôtel reste, à nous de créer des âmes qui durent pour ces derniers.
Je vais pousser cette réflexion sur les modes : nous nous interdisons même parfois chez MHNA de mettre des pièces iconiques dans des hôtels. Certaines pièces de design sont tellement célèbres qu’elles sont surexploitées, voir décliner en pseudo copies dans de grandes chaines. Pour nous, il est impossible de donner une identité à un lieu en se basant sur ces pièces cultes. Les iconiques, quand nous les aimons, nous préférons les avoir chez nous, comme le projecteur de Mariano Fortuny, réédité par Ecart et Andrée Putman. Cette lampe est un magnifique objet mais pour chez nous, pas pour un projet, car cette lampe a été très utilisée, elle le mérite, mais le problème est que désormais nous la retrouvons partout, de manière galvaudée. C’est impossible de donner une image unique à un hôtel avec ce type de produit. En faisant cela, nous ne respecterions pas et mentirions à nos clients. Nous préférons faire de la « Haute Couture d’intérieur » et dessiner entre 80 et 95% des éléments d’un projet, y compris les tissus, les luminaires, les tapis, le mobilier, mais aussi en choisissant les œuvres d’art pour que le lieu soit unique et habité d’une âme.
Sans prendre en compte les difficultés géographiques et économiques, en oubliant les travaux nécessaires, en occultant l’idée du temps, etc. Juste en pensant création pure, est-ce qu’un hôtel Marc Hertrich et Nicolas Adnet pourrait voir le jour ?
Très honnêtement, non. Pour nous ça serait s’arrêter, se figer. Ce qui nous anime au quotidien c’est la création, nous avons besoin dans nos caractères de renouvellement et d’aventure, ouvrir un hôtel MHNA nous figerait, c’est effrayant. Nous adorons créer, c’est tellement jouissif de bâtir des idées. En ce moment, nous sommes justement sur un nouveau projet pour lequel rien n’est encore dessiné, nous sommes en recherche d’un concept. Pour ça, il faut s’immerger dans le pays de l’hôtel, pays que parfois nous ne connaissons pas, pour faire des recherches, pour explorer des pistes. Une fois le concept trouvé, nous entamons l’architecture d’intérieur, et enfin nous pouvons passer à la décoration. Puis une fois la mission terminée, nous repartons pour de nouvelles idées et créations. Nous avons le métier le plus adapté à notre vie, toujours vers le renouveau.
Alexandre Fisselier